"De Grandes Espérances" de Charles Dickens
« Le nom de famille de mon père étant Pirrip, et mon nom de baptême Philip, de ces deux mots ma langue enfantine ne sut rien faire de plus long ni de plus explicite que Pip. C’est ainsi que je me donnai le nom de Pip et que l’on vint à m’appeler Pip. » [*]
J’ai repris cet été le roman de Charles Dickens dans l’édition préférée à laquelle je reviens toujours.
D’abord, il y a l’extraordinaire et gourmande préface de Jean Giono (« Aux alentours de 1907, Les Grandes Espérances firent des ravages exquis au Collège de Manosque ») et son grand Fauque amoureux transi du livre qui provoque une épidémie de lecture.
Ensuite, il y a le titre français et son De particulier (presque la marque déposée du traducteur) et qui force à se référer au titre original si mystérieux et sensible.
Et puis surtout, bien sûr, il y a l’histoire, inoubliable par sa charge affective.
Un adolescent en retiendra sans doute la beauté intrinsèque du héros principal et son amour inconsidéré pour une Estella cruelle et insignifiante. Le personnage de Miss Avisham bouleverse aussi les jeunes esprits ainsi que le romanesque douloureux de l’intrigue. (On comprend l’engouement et l’exaltation des lecteurs de Giono.)
En vieillissant, ce sont les Illusions perdues (autre grand titre) et les errements moraux de Pip qui retiennent l’attention ainsi que toute la description sociale d’un monde à la fois désopilant et injuste que Dickens rend avec une grâce magnifique.
Les événements feuilletonesques de l’ouvrage (néanmoins fort maîtrisés) ne peuvent en cacher l’écriture admirable et la profondeur de réflexion.
C’est pourquoi De Grandes Espérances reste encore et toujours un chef-d’œuvre emblématique.
Michel Sender.
[*] De Grandes Espérances (Great Expectations, 1861) de Charles Dickens, traduction et notes de Pierre Leyris [Gallimard, 1954], préface de Jean Giono, Le Livre de Poche classique n° 420-421, Paris, 1959 ; 512 pages (Imprimerie Les Petits-Fils Léonard Danel, 2e trimestre 1967).