"Le Bonheur fou" de Jean Giono
« Les premiers jours de mars 1848, une calèche pénétrait à Novare par la route de Verceil. Elle s’était présentée à la porte de la ville à dix heures du soir. Depuis longtemps, fanal éteint, elle attendait à cent pas de là, cachée dans les saules. Il y eut une relève de la garde et la voiture s’avança. Le sergent donna le passage après un bref échange de mots. » [*]
Le Bonheur fou, sans tenir compte des dates de publication, se rattache au « cycle du Hussard » et fait suite à Angelo et au Hussard sur le toit puisque il évoque principalement l’action et les pensées d’Angélo Pardi, jeune carbonaro et aristocrate piémontais (dans Le Hussard et Le Bonheur fou Angélo est écrit avec un accent sur le « e »).
Très vite, avant d’aborder la révolution italienne de 1848, Giono remonte aux années 1820 et aux trafics politico-financiers d’un certain Bondino, dit Brutus à la rose, personnage manipulateur et trouble qui s’acoquine ensuite avec le conspirateur Cerutti devenu secrètement informateur de police.
La diaspora italienne en France, en Suisse ou en Angleterre tente pendant plus de vingt ans de s’organiser, à l’instar de Giuseppe, frère de lait d’Angélo et cordonnier à Manosque (le père de Giono était cordonnier dans cette ville).
Giuseppe et Angélo se retrouvent à Turin en février 1848 puis partent pour Milan où l’insurrection se prépare. « On dit que nos amis de Milan vont chasser l’Autriche » déclare en fin du premier chapitre un Angélo qui ne rêve que de batailles et d’exploits.
En cours de route, les deux hommes se séparent et Angélo, resté seul et accusé de meurtre, est coincé dans un petit village : il se cache chez une vieille dame après un parcours époustouflant à travers des portes dérobées qui relient plusieurs appartements.
Il s’allie ensuite avec un groupe d’artilleurs qui l’aident à s’échapper et à rejoindre Novare où vient d’arriver « un vieux de 1820 » (le Bondino et la calèche des premières lignes du roman), ami de Giuseppe mais avec qui Angélo refuse de collaborer.
Des révoltes viennent d’éclater à Paris et Vienne et, enfin parvenu à Milan, Angélo se jette à corps perdu dans les combats de la ville en effervescence ; on lui distribue un fusil et des munitions : « Enfin, se dit-il, ça va être le bonheur ! »
Heureux de s’être engagé dans le mouvement même s’il a été blessé à la tête lors des affrontements, il découvre aussi les aléas d’une situation de désordre insurrectionnel et les diverses combinaisons politiciennes des notables ou des ecclésiastiques du cru, ce qui lui déplaît fortement.
Angélo n’aime que les effusions militaires, le courage et la bravoure du cœur. Il accepte une mission spéciale des nouveaux représentants milanais et est entraîné malgré lui dans d’invraisemblables imbroglios, puis dans des barouds téméraires qui ne mènent à rien, sauf aux désillusions révolutionnaires : « À la guerre, les fous sont parfaits » lui assène Lecca (inspiré de Teodoro Lechi), ancien général de Napoléon.
Dans Le Bonheur fou, Jean Giono lâche toute la bonhomie souriante et grinçante d’un écrivain de noblesse.
Michel Sender.
[*] Le Bonheur fou de Jean Giono [Gallimard, 1957], collection « Folio », éditions Gallimard, Paris (premier dépôt légal dans la collection : février 1976) ; 608 pages (impression d’août 2009).
[Alphonse Boudard a choisi une phrase du Bonheur fou (« Il y a six mois, je me serais fait tuer pour mes idées ; aujourd'hui si je me fais tuer, ce sera pour mon plaisir ») en exergue de ses Combattants du petit bonheur.]