"La Goûteuse d'Hitler" de Rosella Postorino
« Nous sommes entrées une par une. Après plusieurs heures d’attente debout dans le couloir, nous avions besoin de nous asseoir. La pièce était grande avec des murs blancs. Au centre, une longue table en bois déjà dressée pour nous. Ils nous ont fait signe de nous y installer.
Je me suis assise et j’ai croisé les mains sur mon ventre. Devant moi, une assiette en porcelaine blanche. J’avais faim. » [*]
Pour ce roman, Rosella Postorino reconnaît s’être servie de l’histoire de Margot Wölk qui témoigna à plus de quatre-vingt-dix ans sur son expérience, avec d’autres femmes, de « goûteuse » des plats destinés à Hitler dans sa « Tanière du Loup » (Wolfsschanze) à Rastenburg, près de Gross-Partsch, en Prusse-Orientale.
De ces éléments strictement historiques (on croise également Claus von Stauffenberg lors de son attentat contre Hitler en juillet 1944), elle a tiré le portrait extrêmement émouvant d’une jeune femme allemande, Rosa Sauer, secrétaire à Berlin avant de devoir se réfugier, après un bombardement, chez ses beaux-parents à Gross-Partsch, tandis que son mari Gregor, soldat sur le Front de l’Est, est porté disparu.
Recrutée sans son accord comme goûteuse du Fürher (dont elle découvre à cette occasion qu’il est végétarien), Rosa va vivre tous ses repas dans la caserne de Krausendorf et partager le destin de ses compagnes de labeur singulier. « Chacune de nous redoutait encore de s’empoisonner. Cela arrivait si un nuage obscurcissait soudain le soleil vertical de midi, cela arrivait dans ces secondes de désarroi qui souvent précèdent le crépuscule », écrit-elle joliment, avant de préciser cependant, plus loin : « La solidarité n’était pas prévue entre les goûteuses. Nous étions des mottes de terre, qui flottaient ou entraient en collision, dérivaient côte à côte ou s’éloignaient. »
Rosella Postorino, qui d’ailleurs a traduit Moderato Cantabile en italien, a des accents de Marguerite Duras pour évoquer le parcours féminin de toutes ses héroïnes, leurs déboires amoureux, leurs existences précaires, le ravissement qui traverse parfois Rosa…
Michel Sender.
[*] La Goûteuse d’Hitler (Le Assaggiatrici, 2018) de Rosella Postorino, traduit de l’italien par Dominique Vittoz [Albin Michel, 2019], éditions France Loisirs, Paris, octobre 2019 ; 384 pages.