"Rome en noir" de Philippe Videlier

Publié le par Michel Sender

"Rome en noir" de Philippe Videlier

« Dans l’époque où se situent les événements contés ici fut découverte au firmament une planète minuscule, à courte période selon le vocabulaire des savants, qui fut baptisée 1932 PB car tel était le millésime. C’est à ce moment aussi que l’on aperçut dans la nuit obscure la comète Brooks dont l’orbite se trouvait gravement perturbée à l’approche de Jupiter. Mais il est probable, sinon certain, que nul des protagonistes, grands ou petits, de cette histoire ne s’en souciait. » [*]

 

Philippe Videlier est historien-chercheur et il a travaillé de nombreuses années sur l’histoire de l’immigration ouvrière à Lyon et dans sa banlieue, notamment à Villeurbanne, Vénissieux, Décines ou Saint-Priest.

Fort de cette connaissance profonde, il part, dans Rome en noir, d’un fait-divers de 1932 où un jeune boxeur italien, par ailleurs militant fasciste, est assassiné un dimanche après-midi dans un café de Villeurbanne.

L’enquête officielle qui s’en suit, très laborieuse, ne mène à rien, ou plutôt à des fausses pistes ou d’hypothétiques suspects qui permettent au romancier de décrire et de détailler les méthodes d’interrogatoires de cette période, les réactions de la presse et des autorités locales, ainsi que son versant italien avec la terrible police politique de l’OVRA et le gouvernement de Benito Mussolini.

De chaque côté de la frontière, les divers services essaient d’identifier d’éventuels coupables, socialistes, anarchistes ou communistes, sachant qu’une lutte intense, associée à une égale répression, oppose, ici et là, chaque camp idéologique.

Le régime des chemises noires du Duce pourchasse assidûment toute opposition sur fond d’interdictions, d’arrestations, de relégations ou d’exécutions sommaires, mais Philippe Videlier montre aussi avec dérision combien la folie mussolinienne sombre petit à petit dans une grotesque tragédie.

Il nous dresse en parallèle comme un panorama des années trente et quarante avec pêle-mêle l’Allemagne nazie, la Russie stalinienne, l’Espagne franquiste et la France des camps d’internement pour les étrangers indésirables, ainsi que le destin difficile des engagés volontaires des Brigades internationales, de la Résistance ou des activistes réfugiés en Union soviétique.

Comme à son habitude, tout repose sur une documentation impeccable, sur l’extraordinaire capacité de Philippe Videlier à reconstituer la réalité ancienne avec des yeux d’aujourd’hui ou plutôt une distanciation moderne qui mélangerait cinéma et bande dessinée, thriller et document, références littéraires et citations d’époque.

Roman noir et populaire, chronique et sociologie du passé, Rome en noir brasse tout cela à la fois, pour – paradoxalement et malgré la teneur dramatique des événements évoqués – un bonheur constant de lecture.

 

Michel Sender.

 

[*] Rome en noir de Philippe Videlier, éditions Gallimard, Paris, janvier 2020 ; 320 pages, 21 €. (Bande rouge avec lettres majuscules blanches : « DERNIER ROUND POUR MUSSOLINI ».)

 

Publié dans Littérature

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