"Faux passeports" de Charles Plisnier

Publié le par Michel Sender

"Faux passeports" de Charles Plisnier

« Depuis neuf ans, je n’ai plus connu cette disponibilité, cette attente, ce sentiment d’être prêt à recevoir une visite inconnue à laquelle, d’avance, on se soumet tout. Neuf ans pendant lesquels amour, famille, métier, tout ce qui occupe l’âme et les jours de la plupart des hommes, avait en fait, cessé de dépendre de moi ; neuf ans pendant lesquels je ne fus rien d’autre qu’un communiste, un révolutionnaire, un militant ; neuf ans pendant lesquels, armé de cette grâce que peut conférer aussi une foi terrestre, je tins en mépris toute activité qui ne fût un combat. » [*]

 

La disparition récente de Michel Lequenne [**] m’a donné une irrépressible envie de relire Faux passeports de Charles Plisnier.

On sait peu que Charles Plisnier (1896-1952), écrivain belge surtout connu (à l’instar de Roger Martin du Gard, Georges Duhamel ou Jules Romains) pour des sagas familiales (Mariages, Meurtres ou Mères) aujourd’hui désuètes, fut, de 1919 à 1928 (au congrès d’Anvers où il fut exclu), un militant internationaliste actif, un des fondateurs du Parti communiste de Belgique, puis un des membres de l’Opposition trotskiste.

De cela, Faux passeports (paru en 1937 chez Corrêa), rend compte, et surtout le dernier récit, Iégor, qui évoque clairement les Procès de Moscou.

Pierre Mertens, dans sa remarquable postface, rappelle comment Faux passeports, assemblage de nouvelles unifié autour de Souvenirs d’un agitateur et d’un Adieu à ces créatures, fut présenté comme un roman, ce qui lui permit (avec Mariages publié en 1936) d’obtenir le Prix Goncourt 1937.

Mais surtout, il constate (avec nous), combien Faux passeports (« un archipel de moments douloureusement privilégiés ») demeure « impérissable » et « tranche sur le reste de l’œuvre ».

En effet, tous les textes, toutes les personnes évoquées renvoient à des situations et à des pays révolutionnaires : Maurer (avec l’émouvante Pilar) à l’Espagne ; Ditka à la Bulgarie (où, comme avocat et responsable du Secours Rouge, Plisnier se rendit) ; Carlotta (à l’Italie) ; Corvelise à l’Allemagne et Iégor à la Russie.

Reprenant en exergue le « Le je de ce livre n’est pas moi » du Futilité de William Gerhardie comme une distanciation nécessaire, en fait Charles Plisnier, dans la « fiction », reste d’une extraordinaire vérité pour tous les détails de ces témoignages vécus. Il ne cherche ni à enjoliver ni à noircir les événements : la sincérité et l’honnêteté lui suffisent !

Le plus marquant en demeure Iégor, tout en nuances, portrait d’un militant bolchevik de la première heure, ancien ami de Trotski, délégué du Komintern au congrès d’Anvers qui votera l’exclusion des opposants, et qui tombera à son tour victime de la barbarie stalinienne, condamné à mort dans un procès truqué où il avait accepté (volontairement et dans un sacrifice absurde) de plaider coupable…

Ainsi — avec Vers l’autre flamme de Panaït Istrati, Retour de l’U.R.S.S. d’André Gide, Le Zéro et l’Infini d’Arthur Koestler ou S’il est minuit dans le siècle de Victor Serge — Faux passeports fait bien partie des quelques livres essentiels à la compréhension d’une période terrible de l’Histoire.

 

Michel Sender.

 

[*] Faux passeports (1937) de Charles Plisnier, lecture de Pierre Mertens, collection Espace Nord Références [éditions Labor, 1991], Bruxelles, 2005 ; 356 pages, 14 €.

[**] Michel Lequenne (1921-2020), militant trotskiste historique, faisait référence à cet ouvrage dans sa prise de conscience. Plus généralement, voir :

 http://lequenne.michel.free.fr/index.htm

"Faux passeports" de Charles Plisnier

Hasard du calendrier et triste réalité, Michel Ragon (1924-2020), entre autres activités magnifique romancier et intarissable défenseur de La Voie libertaire, vient également de nous quitter.

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