"Dernières nouvelles du Sud" : Luis Sepulveda
« Nous nous sommes mis en route sans savoir que la quila avait fleuri cette année-là. Cela n’arrive pas plus de trois fois par siècle et peut donc être qualifié de prodigieux. La quila est une variété de bambou andin qui pousse dans les ravins profonds de la cordillère. Elle résiste au vent, à la neige, au froid intense des longs hivers australs et au soleil brûlant des courts étés. Ses hampes peuvent atteindre plusieurs mètres de hauteur, elles sont dures, élastiques, et leurs feuilles d’un vert très doux égayent les paysages de la cordillère. » [*]
La nouvelle est tombée brutalement, en plein confinement (et en France le jour de l’annonce de la disparition du chanteur Christophe) : l’écrivain chilien Luis Sepúlveda est mort, des suites du coronavirus, le 16 avril 2020 à Oviedo en Espagne.
Né le 4 octobre 1949 à Ovalle au Chili, Luis Sepúlveda représentait pour moi un des camarades liés à l’épouvantable tragédie que fut le 11 septembre chilien. Emprisonné après le coup d’État d’Augusto Pinochet, puis libéré grâce à la mobilisation d’Amnesty International et réfugié en Allemagne.
Je n’appris personnellement son existence qu’en 1992 à la faveur de la parution du Vieux qui lisait des romans d’amour (Un viejo que leía novelas de amor), traduit en français par François Maspero chez Anne-Marie Métailié. Il y eut ensuite Le Monde du bout du monde (Mundo del fin del mundo) qui, après l’Amazonie du Vieux, déjà parlait de Patagonie, de chasse à la baleine, de Moby Dick.
C’est me semble-t-il dans cette période que j’eus l’occasion de le rencontrer à Lyon après un débat à la FNAC : un repas tout simple avec son attachée de presse et les amis chiliens d’Espaces latinos (ex-Chili Flash) ; la confirmation d’un homme, comme l’écrivain, accessible et engagé, séduisant et moqueur.
Car Luis Sepúlveda était un enchanteur qui nous a ravis tout au long de sa vie et de ses livres, romans, nouvelles et contes. Il n’alourdissait aucunement son écriture de l’exil et des tourments qu’il avait connus mais au contraire militait pour l’action et le rêve, le rire et les larmes, le voyage et l’écologie, l’amour et l’amitié, la nostalgie et l’espoir…
J’ai perdu une partie de ma bibliothèque et n’ai pas lu tous ses ouvrages, mais je choisis Dernières nouvelles du Sud, journal d’un voyage en 1996 réalisé avec le photographe argentin Daniel Mordzinski, car il symbolise bien la façon d’être, de vivre et d’écrire de Luis Sepúlveda : la passion de l’Amérique du Sud, de la solidarité, du partage, des histoires merveilleuses, de l’humanité.
Sa mort nous frappe au cœur, nous coupe le souffle, nous fait un mal de chien. Presente !
Michel Sender.
[*] Dernières nouvelles du Sud (Últimas noticias del Sur, 2011) de Luis Sepúlveda et Daniel Mordzinski, traduit de l'espagnol (Chili) par Bertille Hausberg [Éditions Métailié, 2012], Points Aventure, Paris, avril 2013 ; 208 pages, 6,30 €.
(Très belle dédicace du livre, très émouvante, tout Sepúlveda : « À Osvaldo Soriano mon frère de cœur. Nous nous sommes quittés pour la dernière fois à Buenos Aires. L’un a poursuivi son voyage vers le Sud du Monde, l’autre vers le Sud de l’Âme. »)
Osvaldo Soriano (1943-1997). DR.