"Les Dieux arrivent" d'Edith Wharton

Publié le par Michel Sender

"Les Dieux arrivent" d'Edith Wharton

Un des stewards du grand transatlantique fendit la foule des passagers pour se diriger vers une jeune femme seule, appuyée au bastingage. « Mrs. Weston ? »

Cette dame, les yeux égarés au loin, se concentrait pour emporter une dernière vision pyramidale du New York qu’elle quittait — un endroit qui déjà lui était devenu si irréel que son regard myope était incapable de distinguer, même vaguement, les signaux d’adieu des grands édifices. Elle se retourna.

« Mrs Vance Weston ?

— Non… », dit-elle d’abord ; puis, se reprenant avec un sourire un peu embarrassé : « Oui. » [*]

 

Le commencement des Dieux arrivent d’Edith Wharton (1862-1937), grande romancière américaine amie d’Henry James, m’intéressait — de même que la couverture française du livre —, mais j’hésitais à me lancer car le prière d’insérer spécifiait qu’il s’agissait de la suite de Sur les rives de l’Hudson (Hudson River Bracketed) paru en 1929 aux États-Unis et traduit en France par Jean Pavans chez Flammarion en 1996, livre que — mes achats chez Emmaüs ou les brocantes étant souvent condamnés au hasard de l’occasion — je n’ai pas.

Le titre aussi, tiré du poème Give All to Love de Ralph Waldo Emerson — « Quand partent les demi-dieux, / Les dieux arrivent » (« When half-gods go, / The gods arrive ») — m’intriguait, de même que l’épigraphe — « Les dieux approuvent la profondeur et non le tumulte de l’âme » (« The gods approve /The depth and not the tumult of the soul », en fait une citation de Wordsworth) —  ou encore le Sunt aliquid manes (« Les mânes sont quelque chose »), des Élégies de Properce, en exergue.

Ceci dit, j’ai entrepris malgré tout ma lecture et constaté que Les Dieux arrivent pouvait sans trop de difficulté être découvert isolément même si, manifestement, l’ensemble des deux forme un diptyque évident. [**]

Au début des Dieux arrivent, sur le bateau, Halo Tarrant hésite car, si elle a quitté son mari pour Vance Weston (devenu veuf), elle n’est pas divorcée (son mari refuse le divorce), elle ne peut pas se remarier et donc ne porte pas le nom de l’homme qui l’accompagne.

Le couple a décidé de quitter l’Amérique, d’abord pour l’Espagne, puis Paris et la Côte d’Azur (« Oubli-sur-Mer »), mais l’incertitude de leur union va tarauder leur entente, d’où un séjour seul de Vance à Londres, suivi de retours séparés aux États-Unis (les New York, Eaglewood et Euphoria de Hudson River Bracketed).

Vance Weston ne s’était pas vraiment posé la question de leur vie maritale non officielle qui, au contraire, ne passe pas dans la société et s’oppose sans cesse à la représentation normale que Halo souhaiterait obtenir.

Par ailleurs, Vance, écrivain tourmenté et qui cherche l’inspiration, se détache progressivement de l’influence de Halo et retourne inconsciemment vers l’ancien amour déçu qu’il avait connu avec Floss Delaney, une jeune femme devenue riche héritière.

De son côté, Halo Spear-Tarrant comprend petit à petit qu’elle ne demande qu’à être libre, même si elle attend un enfant de Vance. Elle se rapproche de son mari seulement pour obtenir le divorce et avoir son indépendance, même si ses retrouvailles finales avec Vance nous laissent dans l’expectative…

Les Dieux arrivent, dont il est difficile de disséquer toute la finesse qui réside dans la méticulosité du maillage psychologique et des descriptions des relations mondaines, garde une richesse infinie de traitement romanesque. Edith Wharton aborde également le thème de la création littéraire et de l’accueil critique des œuvres.

 

Michel Sender.

 

[*] Les Dieux arrivent (The Gods Arrive, 1932) d’Edith Wharton, traduit de l’anglais par Jean Pavans, éditions Flammarion, Paris, janvier 1999 ; 396 pages, 130 F.

[**] J’ai consulté Hudson River Bracketed et The Gods Arrive en anglais sur Internet Archive.

Publié dans Littérature

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