"Mont-Oriol" de Guy de Maupassant

Publié le par Michel Sender

"Mont-Oriol" de Guy de Maupassant

« Les premiers baigneurs, les matineux déjà sortis de l’eau, se promenaient à pas lents, deux par deux ou solitaires, sous les grands arbres, le long du ruisseau qui descend des gorges d’Enval.

D’autres arrivaient du village, et entraient dans l’établissement d’un air pressé. C’était un grand bâtiment dont le rez-de-chaussée demeurait réservé au traitement thermal, tandis que le premier étage servait de casino, café et salle de billard.

Depuis que le docteur Bonnefille avait découvert dans le fond d’Enval la grande source, baptisée par lui source Bonnefille, quelques propriétaires du pays et des environs, spéculateurs timides, s’étaient décidés à construire au milieu de ce superbe vallon d’Auvergne, sauvage et gai pourtant, planté de noyers et de châtaigniers géants, une vaste maison à tous usages, servant également pour la guérison et pour le plaisir, où l’on vendait, en bas de l’eau minérale, des douches et des bains, en haut, des bocks, des liqueurs et de la musique. » [*]

 

Après L’Amour est aveugle de William Boyd (voir mon précédent envoi), j’ai eu envie de replonger dans un auteur du XIXe siècle. J’ai d’abord pensé aux Rois en exil (1879) d’Alphonse Daudet (1840-1897), mais je n’ai pas pu poursuivre la lecture : le livre a trop vieilli. (Je ne renonce pas. J’ai de bons souvenirs du Petit Chose et de Jack. Je mets de côté Numa Roumestan et Sapho : on verra.)

Par glissement, j’ai pensé à Guy de Maupassant (1850-1893) et à son Mont-Oriol dont l’édition Marabout, avec une présentation et d’excellentes notes d’Anne Richter, me tendait les bras. (Je n’ai pas dédaigné en son temps le Montvert-les-Bains — qui s’inspire également de l’histoire de Châtel-Guyon — de Maurice Denuzière pour ne pas revenir à la source.)

Pendant l’écriture des Rois en exil, Alphonse Daudet tomba malade et se rendit à Allevard ; Guy de Maupassant, lui, fréquenta Châtel-Guyon en 1883, 1885 et 1886, année où il composa Mont-Oriol lors de son séjour suivi d’étapes à Antibes, notamment à la Villa Muterse.

Mont-Oriol (l’appellation choisie vient de Mont-Dore) raconte en effet la réalisation d’une station thermale avec toute l’acuité de Maupassant à décrire les manœuvres financières, médicales ou paysannes. L’actionnaire principal, le banquier William Andermatt (« C’était un homme encore très jeune, un juif, faiseur d’affaires ») a épousé Christiane, la fille du marquis de Ravenel. Les familles Andermatt (William et sa femme) et de Ravenel (le marquis lui-même et son fils Gontran) viennent en cure à Enval-les-Bains, dans le Puy-de-Dôme, un petit établissement créé par le docteur Bonnefille.

Lors de leur séjour, une nouvelle source est découverte au pied d’un monticule, sur des terrains appartenant aux Oriol (père et fils), des paysans auvergnats rudes en négociations commerciales : très vite, l’investisseur Andermatt va foncer, utiliser toutes ses relations et tous ses moyens, puis se mettre sur les rangs pour construire un nouvel hôtel, un autre casino, des chalets et des thermes concurrençant et asphyxiant au final les installations voisines antérieures…

Parallèlement à cela, sa femme Christiane tombe amoureuse d’un ami de son frère, Paul Brétigny, un séducteur fortuné et dilettante qui la charme par des attentions frivoles et des déclarations enflammées à la faveur d’excursions en Limagne. Gontran, de son côté, toujours impécunieux et vivant de prêts de son beau-frère, va se rapprocher le premier des filles du père Oriol…

Le succès et ses réussites entrepreneuriales malheureusement cachent à William Andermatt l’échec de son mariage mais surtout laissent sa femme Christiane victime secrète de la trahison de Paul et terriblement malheureuse — même si une opportune grossesse et la naissance d’un enfant satisferont sa vie sociale…

Troisième roman — après Une Vie (1883) et Bel-Ami (1885) mais  avant Pierre et Jean (1888) — de Guy de Maupassant, Mont-Oriol, moins connu que les autres, mérite grandement l’attention et reste un étonnant mélange d’étude socio-historique et de romance tourmentée où la maîtrise de l’auteur fait merveille.

 

Michel Sender.

 

[*] Mont-Oriol (1887) de Guy de Maupassant, présentation d’Anne Richter, Bibliothèque Marabout, Marabout S.A., Verviers (Belgique), 1975 ; 288 pages.

[Pour rire, ce passage de Mont-Oriol, deuxième partie, premier chapitre, extrait d’une déclaration intempestive du « maestro » Saint-Landri :

« Je vais me servir d’une comparaison pour me faire bien comprendre. L’œil du rustre aime les couleurs brutales et les tableaux éclatants, l’œil du bourgeois lettré, mais non artiste, aime les nuances aimablement prétentieuses et les sujets attendrissants ; mais l’œil artiste, l’œil raffiné, aime, comprend, distingue les insaisissables modulations d’un même ton, les accords mystérieux des nuances, invisibles pour tout le monde.

« De même en littérature : les concierges aiment les romans d’aventures, les bourgeois aiment les romans qui les émeuvent, et les vrais lettrés n’aiment que les livres artistes incompréhensibles pour les autres. »]

Publié dans Littérature

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