La mort du "Magazine littéraire"

Publié le par Michel Sender

La mort du "Magazine littéraire"

Des articles de Livres Hebdo ou des Échos nous apprennent — on découvre toujours dans d’autres gazettes le sort des journaux dont on est parfois lecteur régulier ou abonné ! — la possible disparition du Magazine littéraire qui, plus invraisemblable, serait racheté et fusionné avec Lire.

J’ai été très longtemps abonné et lecteur des deux mensuels mais, malheureusement, le naufrage du Magazine littéraire — dont je dois avouer que j’ai résilié mon abonnement depuis plusieurs mois — ne m’étonne pas.

Et pourtant…

Le Magazine littéraire de Jean-Jacques Brochier — comme La Quinzaine littéraire de Maurice Nadeau — a été longtemps un des phares de la critique livresque. De plus, chaque mois, Le Magazine publiait un dossier sur un écrivain et a accompagné les découvertes ou redécouvertes de nombreux auteurs (je pense à Jack London, Robert Louis Stevenson, Henry James, Joseph Conrad, Marcel Proust, Franz Kafka…) reliés à des rééditions en 10/18 ou chez Bouquins, ou relayant souvent des parutions de La Pléiade.

Il s’adossait au soutien de Jean-Claude Fasquelle (avec sa femme Nicky, récemment disparue) dont on sait d’ailleurs que la fortune devait beaucoup à Zola et aux Rougon-Macquart

Ensuite, Le Magazine a plusieurs fois changé de direction et de propriétaire, se poursuivant, bon an mal an, jusqu’à l’alliance fatale de Sophia Publications (où, semble-t-il, Maurice Szafran a placé ses intérêts après son départ de Marianne) et de Claude Perdriel, et la nomination — à mon avis une fausse bonne idée — de Raphaël Gluksmann qui a transformé Le Nouveau Magazine littéraire (vous avez remarqué que quand on ajoute nouveau à un titre…) en tribune sociale et politique, avec des dossiers généraux thématiques, parfois intéressants, mais qui n’avaient plus rien à voir avec la littérature…

Bien entendu, les nouveaux acquéreurs (plutôt macronistes) du Nouveau Magazine n’ont pas apprécié les positions (de gôche) de bébé Gluksmann (nous y avons gagné un député européen) et l’ont remplacé par Nicolas Domenach (ancien de Marianne et chroniqueur multicartes), très sympathique mais pas très littéraire.

Pendant ce temps (je passe sur les démêlées de Pierre Assouline avec le titre), Lire (fondé initialement par Bernard Pivot), dirigé très classiquement par François Busnel, puis Julien Bisson et aujourd’hui Baptiste Liger, a continué sa route (nonobstant les avatars du groupe L’Express) pépère mais donnant malgré tout envie de lire — et, il faut le dire, intelligemment.

Pendant ce temps, La Nouvelle Quinzaine littéraire (qui paraîtrait toujours et s’appellerait Quinzaines) a éclaté — ce qui nous a donné l’excellent site En attendant Nadeau, mais dont on ne doit pas cacher qu’il demeure très élitiste et universitaire…

Exit donc, après La Quinzaine littéraire, Le Magazine littéraire !

Et, étonnamment, cela ne me fait absolument pas pleurer.

Car nous savons, avec l’âge, que, comme les humains, les maisons d’édition et les journaux disparaissent, et que cela vaut parfois mieux qu’une lente agonie douloureuse ; ou que, souvent, des publications survivent (je pense à L’Obs, à Libération ou au Monde) mais (pour exprimer les choses gentiment) finalement se séparent de nous.

Surtout, avec la crise (pas pour tout le monde puisque on nous affirme que « l’épargne des Français atteint des sommets », ce qui veut dire qu’il y a des gens qui, à cause du coronavirus, n’ont pas pu dépenser leur argent ! les pauvres) et le déclassement de nombreux travailleurs et des retraités, le décrochage culturel devient tellement immense, comme un fossé, que cela ne nous fait plus ni chaud ni froid [*].

Mais il nous reste, bien sûr, la nostalgie… et les regrets aussi.

 

Michel Sender.

 

[*] L’arrêt sur France Culture, pendant le confinement, des informations spécifiques de la chaîne et de nombreuses émissions, ou la suspension par exemple du 28 Minutes d’Arte, ont été de grosses erreurs qui laissent encore un goût amer, un sentiment de déception et d’abandon qui arrive péniblement à s’estomper malgré la reprise.

Publié dans Littérature

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