"L'Île au Trésor" de Robert Louis Stevenson

Publié le par Michel Sender

"L'Île au Trésor" de Robert Louis Stevenson

« Le squire Trelawney, le docteur Livesey, et le reste de ces messieurs, m’ayant demandé d’écrire en grand détail sur l’Île au Trésor, du commencement à la fin de son histoire, sans rien tenir caché que la position de l’île, et cela seulement parce qu’il reste encore partie du trésor à enlever, je prends la plume en l’an de grâce 17.., et me reporte à l’époque où mon père tenait l’auberge de l’ « Amiral Benbow », et où le vieux marin bronzé et balafré vint pour la première fois loger sous notre toit.

Je me le rappelle comme si c’était hier, arrivant sans hâte à la porte de l’auberge, son coffre de bord derrière lui sur une brouette ; un homme grand, fort, lourd, au teint hâlé, la queue, comme goudronnée, de sa perruque, tombant sur les épaules de son habit bleu taché ; ses mains rugueuses et couturées, aux ongles noirs cassés ; et la balafre d’un blanc sale et livide sur sa joue.

Je me le rappelle, faisant des yeux le tour de la baie, tout en sifflotant, puis entonnant cette vieille chanson de marin qu’il chanta si souvent par la suite :

Quinze hommes sur le coffre du mort

Yo, ho, ho, et une bouteille de rhum !

avec cette vieille voix haute et chevrotante qui semblait s’être rythmée et brisée aux barres de cabestan. » [*]

 

Ayant envie de relire L’Île au Trésor de Robert Louis Stevenson, j’étais partagé entre les diverses traductions françaises.

La toute première, d’André Laurie (pseudonyme du communard Paschal Grousset), parut en 1885 dans la Collection Hetzel et ne manque pas d’intérêt car elle a permis de découvrir le livre en français avec les illustrations de Georges Roux (disponible sur Gallica).

Il y a ensuite les deux traductions de Théo Varlet, celle sous son nom (1920, reprise en Pocket) puis, très différente, sous le pseudonyme de Déodat Serval (1926, en Bibliothèque Nelson, chez Rencontre puis chez Flammarion) ; celles d’André Bay (Le Livre de Poche), de Jacques Papy (Folio-Junior) ou de Roland Garrane (pseudonyme d’André Algarron, Robert Laffont et Bouquins) ; et bien d’autres — dont une anonyme, pas inintéressante du tout, dans la « Bibliothèque de l’Aventure » (Fabbri, 1997) distribuée chez les marchands de journaux.

J’ai finalement choisi, peu connue, la version française d’Albert Savine et Albert Lieutaud, publiée en 1924 chez Albin Michel et découverte à l’occasion d’une réédition aux éditions du Rocher en 1994.

Son mérite était de donner dans notre langue l’article de Robert Louis Stevenson, « Mon premier livre » (My First Book — Treasure Island), écrit en 1894, un texte rarement joint aux éditions courantes mais où Stevenson raconte avec malice et simplicité les circonstances et les sources de la composition, en 1881, de L’Île au Trésor.

« Ce devait être une histoire pour la jeunesse : nul besoin donc de psychologie ou de belle littérature », explique-t-il notamment, ce qui est vrai, mais en même temps absolument faux quand on sait, l’air de rien, l’extraordinaire richesse de ce roman…

La traduction française d’Albert Savine et Albert Lieutaud frappe par ses termes précieux et datés (« télescope » ou « lorgnette » pour longue-vue ; « les docteurs ne sont que de vieux fauberts » (des vieux cons) déclare Billy Bones ; une « conserve » pour un navire de secours ; une « estacade » pour la palanque, le fortin, le blockhaus à l’intérieur de l’île), des curiosités (par exemple, jolly-boat — un canot — traduit en « beau bateau ») ou ses coquilles (la partie IV titrée « L’escalade » au lieu de « L’estacade », The Stockade de l’original ; un « livre de lock » pour le log-book du bord ; « amspeck » pour « anspect »).

Néanmoins, l’écriture de Robert Louis Stevenson transcende les scories de transcriptions diverses et garde l’essentiel : un charme fou !

 

Michel Sender.

 

[*] L’Île au Trésor (Treasure Island, 1883) de Robert Louis Stevenson, traduit de l’anglais par Albert Savine et Albert Lieutaud [Albin Michel, 1924], préface de Francis Lacassin, collection « Les Grands Classiques », éditions du Rocher, Monaco, mai 1994 ; 320 pages, 23,90 F (facsimilé de l’édition d’origine par procédé photomécanique). [Bande rouge : « Un grand classique à moins de 24 F ».]

Publié dans Littérature

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