"Le Petit Vieux des Batignolles" d’Émile Gaboriau

Publié le par Michel Sender

"Le Petit Vieux des Batignolles" d’Émile Gaboriau

« J.-B. CASIMIR GODEUIL

Il y a de cela trois ou quatre mois, un homme d'une quarantaine d'années, correctement vêtu de noir, se présentait aux bureaux de rédaction du Petit Journal.

Il apportait un manuscrit d'une écriture à faire pâmer d'aise l'illustre Brard, le prince des calligraphes.

— Je repasserai, nous dit-il, dans une quinzaine, savoir ce que vous pensez de mon travail.

Religieusement, le manuscrit fut placé dans le carton des « ouvrages à lire », personne n'ayant eu la curiosité d'en dénouer la ficelle…

Et le temps passa...

Je dois ajouter qu'on dépose beaucoup de manuscrits au Petit Journal, et que l'emploi de lecteur n'y est pas une sinécure. » [*]

 

Les lectures de Maurice Leblanc et Gaston Leroux m’ont donné envie de retourner aux origines du « roman judiciaire » en France, notamment à Émile Gaboriau (1832-1873), écrivain populaire extrêmement talentueux et disparu dans sa quarante et unième année.

Sans, pour l’instant, me relancer dans les grands romans (L’Affaire Lerouge, Monsieur Lecoq, Le Crime d’Orcival, etc.), j’ai repris une de ses nouvelles (parue en juillet 1870 dans le quotidien Le Petit Journal mais réunie en volume chez Dentu seulement en 1876, trois ans après sa mort) : Le Petit Vieux des Batignolles, sous-titrée Un chapitre des Mémoires d’un agent de la Sûreté et signée d’un certain J.-B.-Casimir Godeuil (dans Le Petit Journal, la présentation, abrégée dans le volume, était attribuée à Thomas Grimm).

Cette histoire — pour amplifier les Mémoires de l’agent Godeuil — aurait dû en fait être suivie de plusieurs autres, ce qui a été totalement interrompu et rendu impossible par le déclenchement de la Guerre avec la Prusse.

Ceci dit, isolément, Le Petit Vieux des Batignolles constitue un petit bijou, très court mais où un crime est élucidé et l’assassin arrêté en quelques heures.

Le narrateur, Godeuil, à l’époque étudiant en médecine, s’avoue intrigué par son voisin, monsieur Méchinet, aux horaires et aux habitudes décalées, jusqu’à ce qu’il découvre qu’il s’agit d’un agent de la sureté, qui va l’entraîner avec lui dans une enquête et lui permettre de comprendre sa vocation à devenir à son tour lui aussi policier…

De plus, depuis plusieurs années, après la célèbre affaire Omar Raddad (où avait été écrit sur le lieu d’un meurtre la phrase mal orthographiée « Omar m’a tuer »), le récit d’Émile Gaboriau a retrouvé une actualité car, avant de mourir, « le petit vieux des Batignolles », la victime, aurait tracé de son sang, de la main gauche, les lettres Monis… faisant suspecter du même coup un certain Monistrol qui, d’ailleurs, sans barguigner, avoue immédiatement !

Bien évidemment, Monistrol n’est pas le coupable, mais peu importe.

Ce qui nous intéresse, nous — plus que la résolution de l’énigme —, ce sont les modalités d’accession à la vérité, les méthodes employées par Méchinet, le contexte juridique et opérationnel de l’époque, bref, la virtuosité de l’écrivain Émile Gaboriau, remarquablement efficace ici par son exceptionnelle concision.

 

Michel Sender.

 

[*] Le Petit Vieux des Batignolles (Le Petit Journal, 1870 ; Dentu, 1876) d’Émile Gaboriau, lecture accompagnée par Michel Besnier, « La bibliothèque Gallimard », éditions Gallimard, Paris, août 2001 ; 182 pages.

Publié dans Littérature

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J
J'ai lu avec intérêt votre article. Le 28 octobre 2022, mon éditeur va publier mon prochain roman policier dont Emile Gaboriau est un des personnages centraux. Il s'intitule "Le roman oublié". Je l'évoque sur mon blog mentionné ci-dessus. Cordialement.
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M
Cher Jean-Michel Lecocq, merci de votre message et de votre information. Attention, le lien automatique avec votre blog http://ma-fabrique-de-polars.over-blog.com ne marche pas ! Bien amicalement, Michel Sender.