"En un combat douteux" de John Steinbeck

Publié le 10 janvier 2021 par Michel Sender

Innumerable force of Spirits armed,

That durst dislike his reign, and, me preferring,

His utmost power with adverse power opposed

In dubious battle on the plains of Heaven

And shook his throne. What though the field be lost?

All is not lost—the unconquerable will,

And study of revenge, immortal hate,

And courage never to submit or yield:

And what is else not to be overcome?

PARADISE LOST [*]

Pendant les fêtes de fin d’année, j’ai acheté dans une grande surface culturelle (avec entre autres J’accuse de Roman Polanski ou Hannah Arendt de Margarethe von Trotta : les dvd étaient en promo à 9 € 99 l’unité, 30 € les 5, 50 € les 10, 80 € les 20), le dvd du film Les Insoumis (2016) de James Franco.

Il s’agit en fait de l’adaptation d’un roman de John Steinbeck, En un combat douteux (In Dubious Battle), paru en 1936, une sorte de préquelle (dirait-on aujourd’hui) des Raisins de la colère (The Grapes of Wrath, 1939).

On peut s’étonner du titre français (à l’intérieur de la pochette, le disque Universal est titré In Dubious Battle) n’ayant pas repris le titre du livre de Steinbeck, publié chez Gallimard en 1940 dans une traduction d’Edmond Michel-Tyl.

Personnellement, j’ai le souvenir de l’avoir lu en bibliothèque dans une ancienne édition du Livre de Poche mais je ne l’ai pas en ma possession. Problèmes du fonds, je ne l’ai pas trouvé en librairie. Il doit exister en « Folio » : à commander en magasin ou sur Internet.

Je n’ai donc pas pu le relire en français (même si Internet Archive permet de le consulter en anglais) mais j’en garde l’impression d’un roman extrêmement fort et ambigu, d’un grand malaise, que confirme justement le titre, En un combat douteux…

En effet, les deux protagonistes principaux (John Steinbeck a utilisé la formule légale : « The persons and places in this book are fictitious »), Jim Nolan, un jeune ouvrier, et Mac McLeod, militant aguerri (voire « professionnel »), sont des « radicaux » (membres du « Parti ») qui se font embaucher volontairement dans des plantations fruitières en Californie pour délibérément rechercher des possibilités de grève. Mac, le plus âgé, qui apparaît cynique et blasé, n’hésite pas à utiliser des mensonges ou des subterfuges pour parvenir à ses fins. Lors de la grève, il met en avant London, un travailleur de base qui a la confiance des autres saisonniers, pour diriger la lutte…

Dans le film, c’est James Franco lui-même qui interprète Mac et Nat Wolff dans le rôle de Jim. Vincent D’Onofrio joue London et Selena Gomez sa fille Lisa. On y trouve aussi d’autres acteurs marquants dans des rôles « secondaires » : j’ai noté Ed Harris (Joy, un vieux militant), Sam Shepard (le fermier Anderson), Robert Duvall (le patron Chris Bolton) ou Brian Cranston (le shérif).

Et James Franco a véritablement réussi un film magnifique, remarquable, réaliste et âpre, donnant compte avec justesse de la difficulté des mouvements sociaux, de la violence, des conflits individuels ou collectifs, de la peur et de l’angoisse de l’échec.

Une œuvre remarquable qui rend aussi, de facto, hommage à John Steinbeck (1902-1968), un écrivain engagé et lucide comme l’Amérique a merveilleusement su nous en fournir.

Michel Sender.

[*] « Une incommensurable force d’Esprits armés,

Qui osait ne pas aimer son règne, et qui, me préférant,

Opposait son infini pouvoir à un autre,

En un combat douteux dans les plaines du Ciel

Ébranla son trône. Une bataille perdue ?

Non — la volonté conquérante,

Étudier la vengeance, la haine immortelle,

Et le courage de ne jamais se soumettre ni céder :

Et quoi d’autre pour ne pas être vaincu ? »

(John Milton, Paradis perdu, I, 101-109.

Traduit par mes soins.)