"Le Dictionnaire des idées reçues" de Gustave Flaubert

Publié le par Michel Sender

"Le Dictionnaire des idées reçues" de Gustave Flaubert

« Bibliothèque — Toujours en avoir une chez soi, principalement quand on habite à la campagne. […]

Imprimerie — Découverte merveilleuse. — A fait plus de mal que de bien. […]

Littérature — Occupation des oisifs. […]

Livre — Quel qu’il soit, toujours trop long ! […]

Masque — Donne de l’esprit. […]

Message — Plus noble que Lettre. […]

Romans — Pervertissent les masses. Sont moins immoraux en feuilleton qu’en volume. Seuls les romans « historiques » peuvent être tolérés parce qu’ils enseignent l’histoire. Exemple : Les Trois Mousquetaires. Il y a des romans écrits avec la pointe d’un scalpel — exemple : Madame Bovary —, d’autres qui roulent sur la pointe d’une aiguille. […]

Vaccin[e] — Ne fréquenter que des personnes vaccinées. » [*]

 

Étonné de voir que Le Figaro ou Lire proposent des hors-séries Flaubert, j’ai soudain pris conscience que nous traversons l’année du bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert.

Nous avons le temps, puisque Gustave Flaubert naquit le 12 décembre 1821 à Rouen.

L’occasion toutefois d’en relire Le Dictionnaire des idées reçues et d’en citer quelques extraits littéraires plus deux entrées marrantes (chaque relecture en donne l’occasion en fonction de l’actualité !) en ces temps de pandémie…

On sait que ce Dictionnaire (ou Catalogue des opinions chic) fut publié pour la première fois en 1910 en annexe de l’édition Louis Conard de Bouvard et Pécuchet, œuvre posthume parue en 1881 chez Alphonse Lemerre (Gustave Flaubert mourut à Croisset le 8 mai 1880).

L’établissement du texte « d’après le manuscrit original » en fut revendiqué par E.-L. Ferrère dans une édition à part (Louis Conard, 1913).

Il s’agit de la compilation de diverses recherches étalées sur toute la vie de Flaubert (en tout cas dès les années 1840) et qui effectivement s’accentuèrent à la rédaction de l’histoire des « copistes » de Bouvard et Pécuchet.

Mélange de bêtises ou d’incongruités (« Agent — Terme lubrique » ; « Anglais — Tous riches » ; « Flamant (oiseau) — Ainsi nommé parce qu’il vient des Flandres »), de lieux communs plutôt réactionnaires (« Armée — Le rempart de la société » ; « Bras — pour gouverner la France, il faut un bras de fer » ; « Fusillade — La seule manière de faire taire les Parisiens » ; « Gendarmes — Rempart de la société », etc.), de jugements décalés (« Chateaubriand — Connu surtout par le beefsteak qui porte son nom » ; « Hugo (Victor) — A eu bien tort , vraiment, de s’occuper de politique ! » ; « Sainte-Beuve — Le vendredi saint, dînait exclusivement de charcuterie ») ou de poésie (j’adore personnellement : « Ballon — Avec les ballons on finira par aller dans la Lune. — On n’est pas près de les diriger »), Le Dictionnaire des idées reçues se lit au fil de l’humeur ou de l’humour.

Au fil de l’eau aussi, même s’il faut parfois se documenter ou se souvenir pour le comprendre : « Bagnolet — Pays célèbre par ses aveugles » (L’Aveugle de Bagnolet était une chanson célèbre de Béranger au XIXe siècle) ; « Mer — Quand on la contemple, toujours dire : Que d’eau ! » (le « Que d’eau ! Que d’eau ! » prêté à Mac Mahon) ; « Ponsard — Seul poète qui ait eu du bon sens » (auteur de la maxime : « Quand la borne est franchie, il n'est plus de limite ») ; « Popilius — Inventeur d’une espèce de cercle » (je vous laisse chercher)…

Bien sûr, Flaubert aussi se moque des religions, banalement (« Bible — le plus ancien livre du monde »), de façon absconse (« Koran — Livre de Mahomet, où il n’est question que de femmes »), scatologique (« Doigt — Le doigt de Dieu se fourre partout ») ou plus subtilement (« Déicide — S’indigner contre, bien que le crime ne soit pas fréquent »)…

Bref, et encore plus quand il est illustré (dessins et collages) par Serge Bloch et Pascal Lemaître, Le Dictionnaire des idées reçues reste un pur divertissement.

Car Flaubert est grand !

 

Michel Sender.

 

[*] Le Dictionnaire des idées reçues de Gustave Flaubert, revisité par Serge Bloch et Pascal Lemaître [éditions Nathan, 2006], Le Grand Livre du Mois, Paris, octobre 2006 ; 144 pages, relié-cartonné.

Publié dans Littérature

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