Bertrand Tavernier, cinéaste littéraire

Publié le par Michel Sender

Bertrand Tavernier, cinéaste littéraire

« Jusque minuit, voire jusqu'à une heure du matin, il suivit la routine de tous les soirs, ou plus exactement des samedis, qui étaient un peu différents des autres jours.

Aurait-il vécu cette soirée-là autrement, ou se serait-il efforcé de la savourer davantage, s'il avait prévu que c'était sa dernière soirée d'homme heureux ? Cette question, et beaucoup d’autres, y compris de savoir s’il avait jamais été réellement heureux, il faudrait plus tard qu’il essaie d’y répondre.

Il n’en savait encore rien, se contentait de vivre, sans hâte, sans problèmes, sans même avoir pleinement conscience de les vivre, des heures si pareilles à d’autres qu’il aurait pu croire les avoir déjà vécues. » [*]

 

Dès son premier film, L’Horloger de Saint-Paul, sorti en 1974, Bertrand Tavernier adapte en fait, magistralement et en le situant dans sa ville natale, Lyon, un des romans « américains » de Georges Simenon, L’Horloger d’Everton, achevé à « Shadow Rock Farm, Lakeville (Connecticut), le 24 mars 1954 ».

Bien sûr, Bertrand Tavernier s’inspirera également de scénarios originaux (Le Juge et l’Assassin, Des enfants gâtés, Une semaine de vacances, Autour de minuit, Daddy nostalgie, Ça commence aujourd’hui, Holy Lola, etc.) mais, très souvent, il s’entourera de références littéraires pour les transposer au cinéma.

Ainsi, pour son deuxième film, Que la fête commence…, écrit avec Jean Aurenche, l’influence d’Alexandre Dumas (retrouvée plus tard dans La Fille de d’Artagnan) est manifeste [**].

Bertrand Tavernier a travaillé en osmose avec de grands scénaristes, Jean Aurenche et Pierre Bost (dont il a adapté un des romans, Monsieur Ladmiral va bientôt mourir, avec Un dimanche à la campagne) ou encore Jean Cosmos (auteur de remarquables séries télévisées : Ardéchois cœur fidèle ou La Dictée) pour notamment La Vie et rien d’autre ou Laissez-passer (d’après les Mémoires de Jean Devaivre).

C’est encore Jean Cosmos qui est à la manœuvre pour adapter avec lui Capitaine Conan (d’après Roger Vercel) ou La Princesse de Montpensier, extraordinaire film d’après Madame de Lafayette.

Bertrand Tavernier aussi aime les romans historiques (La Passion Béatrice d’après Michel Peyramaure), la science-fiction avec l’étrange Mort en direct (d’après D. G. Compton) et les polars : Coup de torchon (d’après Jim Thompson), L 627 (avec Michel Alexandre), L’Appât (d’après Morgan Sportès) ou Dans la brume électrique (de James Lee Burke).

Enfin, pour Quai d’Orsay, son dernier grand film de « fiction », il n’hésite pas à partir d’une bande dessinée…

C’est pourquoi, comme François Truffaut, Bertrand Tavernier, pour moi, est un grand cinéaste littéraire !

 

Michel Sender.

 

[*] L’Horloger d’Everton (1954) de Georges Simenon, postface de Francis Lacassin, « Bibliothèque Belfond », éditions Belfond, Paris, septembre 1996 ; 180 pages, 73 F.

Bertrand Tavernier, cinéaste littéraire

[**] Voir ce blog le 26 septembre 2020. J’ai su plus tard que Bertrand Tavernier avait préfacé une réédition d'Une Fille du Régent (Le Cherche Midi, novembre 2020).

Publié dans Littérature

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