"Diotime et les Lions" d'Henry Bauchau
« Dans mon plus lointain souvenir, je vois toujours mon grand-père Cambyse arriver chez nous au galop, son faucon sur le poing, suivi de serviteurs armés. Il salue ma mère avec beaucoup de respect, inspecte tout comme s’il était chez lui et s’en va, tourbillon de poussière, dans un grand tumulte de chevaux. Mon père que j’admirais tant, qui avait commandé une flotte et gagné des batailles sur l’océan des Indes, semblait parfois interdit et presque effrayé en sa présence. Tous redoutaient Cambyse, tandis que moi, sans doute parce que je ressemble à sa mère, je n’ai jamais eu peur de lui. » [*]
Ainsi s’exprime Diotime, petite-fille de Cambyse, chasseur émérite, et fille de Kyros, grand marin, et, à travers elle, Henry Bauchau (1913-2012), conteur et écrivain qui, dans Diotime et les Lions a composé comme une fable mythologique, magnifiée par les « images », à la fois fluides et léchées, de François Roca ici dans une édition limitée.
Une fable où, à part Diotime, seuls les hommes ont un nom : sa mère, qui finalement l’autorise à participer à la chasse des lions (« Puisque tu es lion, sois-le ! » lui dit-elle), ou sa sœur, ne sont pas nommées autrement que par leurs liens familiaux.
Car « la fête rituelle », chaque année, consiste en une « guerre des lions », d’égal à égal, menée par le patriarche Cambyse, chef de clan et descendant de lions : « Par sa mère, Cambyse appartenait à une lignée perse dont les plus lointains ancêtres étaient des lions. » Kyros, son fils, le suit et y participe. Et c’est Cambyse qui a décidé, en lui offrant « une magnifique jument alezane », que Diotime, à quatorze ans, pouvait les accompagner.
Du combat Diotime sortira triomphante (« moi la reine vierge et lionne ») et enflammée par les danses et les chants et les « boissons magiques » des cérémonies. Commence à naître en elle une pulsion sexuelle et un intérêt que va susciter Arsès, « un Grec de Grèce » venu « pour proposer à Cambyse la réunification de l’ensemble du clan, depuis longtemps séparé ».
Pour qu’il puisse s’unir à Diotime, Cambyse fixe à Arsès l’obligation de combattre à son tour « seul, à pied, armé d’une lance, d’un arc et de trois flèches » un grand fauve choisi par le conseil du clan.
Arsès répugne à chasser et à tuer des animaux (« J’ai appris chez moi et en Inde à vénérer la vie dans les animaux et à ne pas les exterminer », avoue-t-il) mais il ne veut pas non plus renoncer à Diotime : s’ensuit alors une expédition pour trouver les conseils d’un sage, un « Vieillard-Enfant » perché sur un buffle et qui va les guider dans la course…
Avec Diotime et les Lions (il semble qu’au départ il s’agissait d’un épisode d’Œdipe sur la route paru en 1990 chez Actes Sud, retiré pour en faire un récit indépendant), Henry Bauchau a poursuivi sa quête antique (que l’on relie également à son Antigone publié en 1997 toujours chez Actes Sud), dans une prose initiatique et poétique qui fait merveille.
Michel Sender.
[*] Diotime et les Lions d’Henry Bauchau [© Actes Sud 1991], images de François Roca, éditions Albin Michel, Paris, septembre 2002 ; 88 pages + planches couleurs non paginées (relié-cartonné).