Les "Souvenirs d'un écrivain" : André Maurel

Publié le par Michel Sender

Les "Souvenirs d'un écrivain" : André Maurel

« Avant de rappeler mes souvenirs d’homme, je voudrais évoquer ceux de l’enfant aux lieux où s’écoulèrent ses vingt premières années. Il me semble que l’image d’une petite ville de France d’il y a cinquante ans n’est pas sans intérêt à fixer. L’histoire de la société s’écrit grâce à ces traits-là qu’un modeste écrivain a pris soin de noter et d’esquisser. Leur précision allégera, d’ailleurs, la suite de mon récit, si je ne prétends pas à un intérêt personnel à l’auteur. » [*]

 

Lire les Souvenirs d’un écrivain d’André Maurel (1863-1943) nous replonge dans le monde littéraire et la vie d’un homme de lettres du XIXe siècle : ils s’interrompent d’ailleurs en 1914, date symbolique d’un basculement où la littérature n’a plus grand-chose à faire dans « Le journal d’un réfugié » qu’il tient à partir d’août, sinon qu’il mentionne l’éditeur Paul Ollendorff comme un de ses voisins à Francport/Choisy-au-Bac, près de Compiègne.

Au moment de la Première Guerre mondiale, André Maurel écrit moins dans les quotidiens ; il se consacre à des études pour La Revue bleue et surtout à des séries touristiques chez Hachette autour de l’Italie : Petites Villes d’Italie (quatre volumes), Paysages d’Italie (idem), L’Art de voyager en Italie, Un mois à Rome, Un mois en Italie, Quinze Joursà Naples, à Florence, à Venise — qui connaîtront le succès.

Il a composé un Essai sur Chateaubriand pour La Revue blanche, des biographies (La Marquise du Châtelet, La Duchesse du Maine, Voltaire), et, bien avant André Maurois, un ouvrage sur Les Trois Dumas, mais sans jamais parvenir à être élu à l’Académie française…

Les Souvenirs d’un écrivain d’André Maurel débutent par son enfance chez ses grands-parents à Meaux, « petite ville de France » où son grand-père, fin lettré, était médecin et soignait entre autres, à Villenoy, le comte Edgar de Loynes, dont, à Paris, André Maurel fréquentera, d’abord en ami de la famille, le salon de sa femme, la comtesse de Loynes, célèbre pour avoir été la maîtresse d’Émile de Girardin — journaliste et homme politique qui lui demanda de recevoir chaque jour de cinq à sept — puis celle de Jules Lemaître, important critique dramatique de l’époque.

Dans le salon de Mme de Loynes se côtoyait toute la faune boulangiste, et, bientôt, de la Ligue pour la patrie française puis de l’Action française. André Maurel dit qu’il y introduisit Maurice Barrès, rencontré au Voltaire à l’heure de Sous l’œil des Barbares (1887) mais dont il s’éloignera vers Les Déracinés (1897) à cause de l’affaire Dreyfus.

Car André Maurel est entré au Voltaire, un quotidien où, sous le pseudonyme de Lucien Valette, il se spécialise dans l’ « interview littéraire », un genre où il prendra peu de notes et brodera beaucoup, ce qui lui procurera sa petite heure de gloire quand il rapportera que le grand Hippolyte Taine a parlé de Victor Hugo comme d’ « un garde national en délire », ce qui, semble-t-il, dans le langage du temps, n’était pas du tout sympathique !  (Maupassant, quant à lui, lors d’une fête, trouvera à André Maurel « l’air d’un enfant de chœur de la Commune ».)

Mais, surtout, jusqu’en 1902, il travaillera comme « courriériste » (voire, comme « potinier ») d’abord auprès d’Émile Blavet, puis comme rédacteur en titre, auprès d’Antonin Périvier, Paul Bonnetain, Francis Magnard, Jacques Saint-Cère ou Fernand de Rodays, au Figaro, un journal accueillant les dreyfusards, ce qui lui permit de rencontrer Émile Zola ou Jean Jaurès.

En effet, dreyfusard et républicain « bon ton », André Maurel s’est rapproché d’Anatole France et du salon de Mme Arman de Caillavet où l’on croise le Tout-Paris « éclairé » (en 1890, il avait épousé la fille d’un critique musical au Gil Blas) d’avant-guerre…

C’est ainsi qu’André Maurel, dans ses Souvenirs aujourd’hui surannés mais toujours actuels dans la façon de progresser en société et chez les gendelettres, après les évocations de deux salons d’alors puis du Voltaire et du Figaro, conclut sur sa situation de « réfugié » (comme beaucoup de Français) à l’intérieur de son pays au commencement de la Grande Guerre, ce qui le brise et clôture ses Mémoires.

 

Michel Sender.

 

[*] Souvenirs d’un écrivain (1883-1914) d’André Maurel, « Bibliothèque de littérature », Librairie Hachette, Paris, 1925 ; 256 pages, 8 f.

Publié dans Littérature

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