Un poème des "Contemplations" de Victor Hugo
Il lui disait : Vois-tu, si tous deux nous pouvions,
L'âme pleine de foi, le cœur plein de rayons,
Ivres de douce extase et de mélancolie,
Rompre les mille nœuds dont la ville nous lie ;
Si nous pouvions quitter ce Paris triste et fou,
Nous fuirions ; nous irions quelque part, n'importe où,
Chercher, loin des vains bruits, loin des haines jalouses,
Un coin où nous aurions des arbres, des pelouses,
Une maison petite avec des fleurs, un peu
De solitude, un peu de silence, un ciel bleu,
La chanson d'un oiseau qui sur le toit se pose,
De l'ombre ; — et quel besoin avons-nous d'autre chose ?
Juillet 18…
VICTOR HUGO
Les Contemplations [1856], Livre deuxième, XXI, dans : Victor Hugo, Les Contemplations, introduction de F.-A. Burguet (© Éditions Gallimard et Librairie Générale Française, 1965), Le Livre de Poche, Paris, janvier 1969 ; 512 pages.
« À un certain moment de la vie, si occupé qu’on soit de l’avenir, la pente à regarder en arrière est irrésistible. Notre adolescence, cette morte charmante, nous apparaît, et veut qu’on pense à elle. C’est d’ailleurs une sérieuse et mélancolique leçon que la mise en présence de deux âges dans le même homme, de l’âge qui commence et de l’âge qui s’achève ; l’un espère dans la vie, l’autre dans la mort.
Il n’est pas inutile de confronter le point de départ avec le point d’arrivée, le frais tumulte du matin avec l’apaisement du soir, et l’illusion avec la conclusion.
Le cœur de l’homme a un recto sur lequel est écrit Jeunesse, et un verso sur lequel est écrit Sagesse. C’est ce recto et ce verso qu’on trouvera dans ce livre.
La réalité est dans ce livre, modifiée par tout ce qui dans l’homme va au-delà du réel. Ce livre est écrit beaucoup avec le rêve, un peu avec le souvenir.
Rêver est permis aux vaincus ; se souvenir est permis aux solitaires.
Hauteville House, octobre 1865. »
Victor Hugo, préface à : Les Chansons des rues et des bois (édition de Jean Gaudon, Poésie/Gallimard, mai 1982).