"Ténèbre" de Paul Kawczak

« À coups de chicotte, Henry Morton Stanley achevait de tuer un homme. Un jeune porteur, quinze ans peut-être, un Bembe de Mindouli, recruté à Matadi. Pas le temps de comprendre. La peau douce partout éclatée. Les hautes herbes éclaboussées de cris, de larmes et de sang rose. Les chiens mirent un certain temps avant de relâcher les membres sveltes et inanimés. Le garçon avait eu plus peur d’eux que de la mort, les chiens l’avaient toujours effrayé. Le corps fut laissé là. » [*]

Paul Kawczak, né à Besançon mais vivant au Québec, a réalisé, avec Ténèbre, un roman trouble et déconcertant.

Inspiré ouvertement du Au cœur des ténèbres (Heart of Darkness) de Joseph Conrad, Ténèbre reprend, dans le contexte du Congo belge des années 1890, le thème de la remontée des fleuves dans deux expéditions de mortelle folie.

Le personnage principal, Paul Claes, un géomètre chargé par la couronne de tracer des frontières, débarqué à Matadi, va emprunter le Congo de Léopoldville à Équateurville puis l’Oubangi jusqu’à Banzyville.

Accompagné de Xi Xiao, un Chinois tatoueur-découpeur adepte du lingchi (un mode de torture particulièrement raffiné), il découvre toute la cruauté du colonialisme envers les Noirs et l’impunité des Blancs (Charles Lemaire y fait régner la terreur) et va y retrouver, sans le savoir, son père adoptif, Philéas Vanderdorpe, un médecin qui, dans sa jeunesse, a croisé Charles Baudelaire et Paul Verlaine.

Une seconde expédition le mènera jusqu’aux chutes de Stanley pour une dernière recherche d’absolu…

Ténèbre de Paul Kawczak, remarquablement écrit, pêche cependant par un manque de profondeur psychologique. Tout semble froid et glacé et relativement vain. Pour moi, une déception.

Michel Sender.

[*] Ténèbre de Paul Kawczak [La Peuplade, 2020], éditions J’ai lu, Paris, juillet 2021 ; 320 pages, 7,90 €.

Sur le sujet, je préfère Congo d’Éric Vuillard, paru chez Actes Sud en 2012 puis dans la collection « Babel ».