"Sylvie" de Gérard de Nerval

Publié le par Michel Sender

"Sylvie" de Gérard de Nerval

« Je sortais d’un théâtre où tous les soirs je paraissais aux avant-scènes en grande tenue de soupirant. Quelquefois tout était plein, quelquefois tout était vide. Peu m’importait d’arrêter mes regards sur un parterre peuplé seulement d’une trentaine d’amateurs forcés, sur des loges garnies de bonnets ou de toilettes surannées, — ou bien de faire partie d’une salle animée et frémissante couronnée à tous ses étages de toilettes fleuries, de bijoux étincelants et de visages radieux. Indifférent au spectacle de la salle, celui du théâtre ne m’arrêtait guère, — excepté lorsqu’à la seconde ou à la troisième scène d’un maussade chef-d’œuvre d’alors, une apparition bien connue illuminait l’espace vide, rendant la vie d’un souffle et d’un mot à ces vaines figures qui m’entouraient. » [*]

 

D’avoir trouvé chez Emmaüs, à moins d’un euro, une édition GF (avec une pastille jaune incrustée sur la couverture « Prépas scientifiques 2014 ») m’a donné envie de relire Sylvie de Gérard de Nerval.

Il y a peut-être aussi le fait d’avoir récemment replongé dans les romans champêtres de George Sand (Les Maîtres Sonneurs parurent la même année que Sylvie), romancière que Nerval admirait et dont les préoccupations rejoignaient les siennes, notamment dans « Chansons et légendes du Valois », texte ajouté à Sylvie lors de l’édition des Filles du Feu, chez Daniel Giraud, en 1854.

Gérard de Nerval avait un temps envisagé avec Maurice Sand une édition illustrée à part de Sylvie, projet qui n’eut pas de suite et laissa le champ libre à son regroupement au sein des Filles du Feu, des nouvelles souvent disparates, auxquelles, on le sait, furent joints les poèmes des Chimères (voir ce blog le 30 avril 2021).

Sous-titrée Souvenirs du Valois, Sylvie nous entraîne sur les chemins de la mémoire du narrateur mais, aussi, très concrètement sur des parcours géographiques et des routes (par exemple « cette route de Flandres, qui ne devient belle qu’en atteignant la zone des forêts ») autour d’Ermenonville (l’évocation de Jean-Jacques Rousseau), des châteaux, des abbayes et des villages, ou des voyages fantasmés (Watteau et le Voyage à Cythère).

Amoureux d’une actrice (dont on ne connaîtra le nom — Aurélie — que vers la fin) qui lui rappelle une femme aperçue dans son enfance (« une blonde, grande et belle, qu’on appelait Adrienne ») et son amourette d’alors pour Sylvie, une toute jeune villageoise (« Elle m’aimait seul, moi le petit Parisien, quand j’allais voir près de Loisy mon pauvre oncle, mort aujourd’hui »), le narrateur se perd dans les souvenirs « des fêtes naïves de la jeunesse » et les regrets aussi.

Chaque lieu provoque en lui des événements passés, des sensations ou des rêves éveillés — c’est là tout le charme de Gérard de Nerval, conteur érudit et sensible, qui plaisait tant à Marcel Proust et qui manifestement l’a inspiré…

 

Michel Sender.

 

[*] Sylvie (1853) de Gérard de Nerval, présentation, dossier et bibliographie de Sylvain Ledda, notes et chronologie de Sylvain Ledda et Jacques Bony, collection « GF », éditions Flammarion, Paris, juin 2013 ; XXXVIII + 170 pages, 5,50 €.

"Sylvie" de Gérard de Nerval

J’ai également consulté les Œuvres (tome premier) de Gérard de Nerval dans l’édition due à Henri Lemaître (Classiques Garnier, 1958) ainsi que Sylvie dans la collection « Libretti » du Livre de Poche (présentation et notes par Marie-France Azéma, 1999).

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