"Les New-Yorkaises" d'Edith Wharton

Publié le par Michel Sender

"Les New-Yorkaises" d'Edith Wharton

« Miss Bruss, parfaite secrétaire, accueillit Nona Manford à la porte du boudoir de sa mère (« le bureau », comme l’appelaient les enfants de Mrs. Manford) avec un geste d’aimable protestation.

« Mais non, elle veut vous voir, ma chérie, vous le savez bien… votre maman veut toujours vous voir », insista Maisie Bruss, d’une voix que de continuelles communications téléphoniques semblaient avoir aiguisée et affinée. Miss Bruss, entrée au service de Mrs. Manford peu après le deuxième mariage de celle-ci, avait connu Nona toute petite, et avait le privilège, même maintenant que la jeune fille s’était « émancipée », de la traiter avec une certaine familiarité bienveillante — la bienveillance étant le style de la maison Manford. » [*]

 

Twilight Sleep, un des derniers romans d’Edith Wharton, reprenait, dans son titre anglais, la pratique thérapeutique, peu connue en France, du « sommeil crépusculaire » (en allemand Dämmerschlaf), un cocktail médicamenteux permettant notamment aux femmes un accouchement sans douleur sous narcoleptiques.

Intraduisible en français faute d’être compris (ce pourquoi Jean Pavans a choisi Les New-Yorkaises), le titre original veut sans doute nous préparer à l’état de léthargie psychologique traversé par ses personnages et dans la société.

Pourtant Mrs. Pauline Manford, New-Yorkaise exemplaire de la high society des années vingt, il y a un siècle, brûle la vie par tous les bouts, avec un emploi du temps forcené et une activité débordante, allant d’opérations de charité mondaine au recours à divers gourous de conduite.

Remariée avec un avocat très occupé, Dexter Manford, elle a eu avec lui une fille, Nona, encore très jeune (elle semble avoir dans les dix-huit/vingt ans), mais qui fait volontiers le lien avec son demi-frère, Jim Wyant, et le père de celui-ci, Arthur Wyant, le premier époux de sa mère et qui souffre d’alcoolisme.

Jim s’est marié deux ans auparavant avec Lita Cliffe, une jeune femme plutôt superficielle et libérée avec qui il vient d’avoir un petit garçon, âgé de six mois. On comprend assez vite que leur couple — même si Jim s’est astreint à un travail régulier pour entretenir le ménage — bat de l’aile et que, en fait, Dexter Manford est bouleversé par Lita, sa belle-fille, et se rapproche d’elle trop dangereusement.

De son côté, Nona Manford se sent attiré par un cousin de Jim, Stanley Heuston, mal marié avec sa femme Aggie, qui veut divorcer mais qui, devant le refus de Nona, part avec une autre — ce qui, sans qu’elle le veuille, la fait vaciller intérieurement.

Tous ces déséquilibres familiaux vont ainsi déstabiliser progressivement l’assise personnelle de Pauline Manford elle-même et manquer de faire s’effondrer son monde propre, construit pas à pas avec constance et assiduité…

Edith Wharton traite de tout cela, et de ces mini-drames bourgeois, avec beaucoup d’ironie et d’humour, mais dans un style plein d’empathie humaine et au comble du raffinement.

 

Michel Sender.

 

[*] Les New-Yorkaises (Twilight Sleep, 1927) d’Edith Wharton, traduit de l’anglais par Jean Pavans [éditions Flammarion, 2000], éditions J’ai lu, Paris, juin 2001 ; 320 pages (illustration de couverture : McClelland Barclay).

Faust und Sorge

Faust und Sorge

L’épigraphe du roman, dans l’édition originale, est une citation du Second Faust de Goethe :

FAUST. Und du, wer bist du ?

SORGE. Bin einmal da.

FAUST. Entferne dich !

SORGE. Ich bin am rechten Ort.

Faust. Teil II. Akt V.

[« Faust : Et toi, qui es-tu ? / Le souci : Je suis là, c’est tout. / Faust : Va-t’en ! / Le souci : Je suis là où il faut. »]

"Les New-Yorkaises" d'Edith Wharton

D’Edith Wharton (1862-1937), sur ce blog, j’ai parlé de Les Dieux arrivent (le 7 avril 2020) et d’Ethan Frome (le 10 avril 2020).

Publié dans Littérature

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