"Le Dormeur du Val" d'Arthur Rimbaud
LE DORMEUR DU VAL
C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Octobre 1870.
ARTHUR RIMBAUD
« Le Dormeur du Val » (page 30) dans : Rimbaud, Cros, Corbière, Lautréamont, Œuvres poétiques complètes, préface de Hubert Juin, collection « Bouquins », éditions Robert Laffont, Paris, 1980 ; 980 pages, 100 F (réimpression de juin 1989).
Dans ce volume, l’édition d’Arthur Rimbaud est présentée et annotée par Alain Blottière, Charles Cros par Pascal Pia, Tristan Corbière par Michel Dansel et Lautréamont par Jérôme Bancilhon.