"Une singulière jeune fille blonde" de José Maria Eça de Queiroz
« Começou por me dizer que o seu caso era simples — e que se chamava Macário...
Devo contar que conheci este homem numa estalagem do Minho. Era alto e grosso : tinha uma calva larga, luzidia e lisa, com repas brancas que se lhe erriçavam em redor : e os seus olhos pretos, com a pele em roda engelhada e amarelada, e olheiras papudas, tinham uma singular clareza e rectidão — por trás dos seus óculos redondos com aros de tartaruga. Tinha a barba rapada, o queixo saliente e resoluto. Trazia uma gravata de setim negro apertada por trás com uma fivela ; um casaco comprido cor de pinhão, com as mangas estreitas e justas e canhões de veludilho. E pela longa abertura do seu colete de seda, onde reluzia um grilhão antigo — saíam as pregas moles de uma camisa bordada.
Era isto em Setembro : já as noites vinham mais cedo, com uma friagem fina e seca e uma escuridão aparatosa. Eu tinha descido da diligência, fatigado, esfomeado, tiritando, num cobrejão de listas escarlates. »
« Il commença par me dire que son cas était simple — et qu’il s’appelait Macário.
Je dois expliquer que j’avais fait la connaissance de cet homme dans une auberge du Minho. Il était grand et gros, avait une calvitie prononcée, luisante et lisse, avec des mèches blanches hérissées en couronne ; et ses yeux noirs, à l’entour fripé et jauni, aux cernes gonflés, étaient doués d’une singulière clarté et d’une grande rectitude, derrière ses lunettes rondes cerclées d’écaille. Son menton rasé était saillant et volontaire. Il portait une cravate en satin noir agrafée par-derrière, une longue veste couleur pignon, aux manches étroites et ajustées et aux parements de velours. Et de l’échancrure profonde de son gilet de soie, où brillait une chaîne ancienne, s’échappaient les plis légers d’une chemise brodée.
On était en septembre : les nuits tombaient plus vite, pénétrées d’une fraîcheur subtile et sèche, d’une obscurité grandiose. J’étais descendu de la diligence, fatigué, affamé, grelottant dans un plaid à rayures écarlates. » [*]
Tournant autour des Mystères de Lisbonne (1854) de Camilo Castelo Branco (1825-1890) que je n’ai pas encore le courage d’entamer, je suis tombé sur des livres de José Maria Eça de Queiroz, écrivain né au Portugal à Póvoa de Varzim le 25 novembre 1845 et mort en France à Neuilly-sur-Seine le 16 août 1900.
On le présente comme un maître (influencé par Gustave Flaubert et Émile Zola qu’il rencontra brièvement à Paris en 1885) du réalisme portugais et j’ai pris plaisir à plonger dans quatre de ses nouvelles, publiées à diverses périodes de sa vie et regroupées dans le recueil posthume de ses Contos paru en 1902 à la Livraria Chardron de Porto, que Marie-Hélène Piwnik traduisit de façon inédite en 1997 pour la collection « Folio bilingue » des éditions Gallimard.
La première nouvelle, Une singulière jeune fille blonde, la plus ancienne, puisque écrite en 1873, déjà, fait preuve d’un très grand réalisme, mêlé à la destinée dérisoire du pauvre Macário, employé terne et vieillissant qui retrace son amour (« au temps de sa jeunesse, vers 1823 ou 33 ») pour une jeune fille blonde, Luísa, qu’il comptait épouser mais qui l’a fortement déçu…
Au moulin (No Moinho), parue dans le journal O Atlântico du 28 avril 1880, raconte l’histoire d’une « femme modèle », Dona Maria da Piedade, mariée très tôt à un homme plus âgé et souffreteux dont elle s’occupe en permanence, et qui, soudainement, tombe amoureuse d’un cousin de son mari, Adrião, un écrivain venu à la campagne pour vendre une propriété et qui la séduit… Cette attirance va bouleverser son existence. On pense à Flaubert ou Maupassant, et d’ailleurs, Marie-Hélène Piwnik a traduit les derniers mots du conte, « Bola de Unto », par Boule-de-Suif !
Civilisation (Civilização), publiée en octobre 1892 dans la Gazeta de Notícias, est considérée comme une « préquelle » de son grand roman posthume, A Cidade e as Serras (« La ville et les montagnes » : en français 202, Champs-Élysées [**]) en ce qu’elle exprime le rejet progressif, par un être cultivé et riche, du confort ultra technique de la société moderne, pour retrouver, dans sa région natale loin de la ville, une authenticité de vie, plus près de la nature : « À cette heure-là certainement, Jacinto sur la terrasse de Torges, sans phonographe et sans téléphone, revenu à la simplicité, regardait, dans la lente paix du soir, à la lueur tremblante de la première étoile, le troupeau regagner l’étable dans le chant des bouviers. »
Enfin, José Matias, sortie dans la Revista Moderna du 25 juin 1897, surprend par son analyse, quasi clinique, du cas d’un homme de l’aristocratie éperdument épris d’une femme qui est sa voisine, qu’il aperçoit quotidiennement de sa fenêtre, mais avec qui, en dehors de l’adoration extasiée, il ne parvient pas à aller plus avant : lorsqu’elle devient veuve, il refuse de l’épouser, mais continue de la vénérer, tout en accentuant sa propre déchéance…
Ces quatre nouvelles d’Eça de Queiroz permettent ainsi de découvrir un écrivain et un narrateur exceptionnel, qui transcende son époque tout en sachant la décrire avec précision et avec le détachement nécessaire à l’universalité de ses sujets.
Michel Sender.
[*] Une singulière jeune fille blonde/Singularidades de uma rapariga loira de José Maria Eça de Queiroz, traduit du portugais, préfacé et annoté par Marie-Hélène Piwnik, collection « Folio bilingue », éditions Gallimard, Paris, février 1997 ; 304 pages (+ cahier photographique de seize pages).
Marie-Hélène Piwnik a depuis publié une intégrale des Contes et nouvelles d’Eça de Queiroz, en 2008, aux éditions de la Différence.
En portugais, la nouvelle-titre est souvent orthographiée Singularidades de uma rapariga loura. Voir la première publication dans le Brinde aos Senhores Assinantes du Diário de Notícias de Lisbonne en janvier 1874.
Une adaptation filmique du cinéaste portugais Manoel de Oliveira de Singularidades de uma rapariga loura est sortie en 2009 : en France sous le titre de Singularités d’une jeune fille blonde.
[**] 202, Champs-Élysées, traduit et présenté par Marie-Hélène Piwnik en 1991 aux éditions de la Différence, est aujourd’hui disponible chez Michel Chandeigne.