Une traduction "nouvelle" des "Cosaques" de Léon Tolstoï

Publié le par Michel Sender

Une traduction "nouvelle" des "Cosaques" de Léon Tolstoï

« Le calme régnait dans les rues de Moscou ; on n’entendait qu’à de rares intervalles [moments **] un grincement de roues sur la neige [le sol gelé]. Plus de lumière aux fenêtres, les réverbères même étaient éteints. Le son des cloches commençait à vibrer sur [au-dessus de] la ville endormie et annonçait l’approche du matin. Les rues étaient désertes : ici on apercevait un cocher de fiacre qui sommeillait dans l’attente d’un passant attardé ; là une vieille femme s’acheminait vers l’église, où les cierges allumés jetaient une lueur vacillante sur les châssis [cadres] dorés des images. La population ouvrière s’éveillait petit à petit [peu à peu], recommençant [reprenant] son rude labeur après le repos d’une longue nuit d’hiver.

Mais la jeunesse oisive n’avait pas encore achevé sa soirée.

À [l’] une des fenêtres de l’hôtel Chevalier on voyait [filtrer,] à travers les fentes du volet fermé [,] la lumière interdite par la loi. Une voiture, des traîneaux, des fiacres et une troïka de poste stationnaient à la porte de l’hôtel. Le portier, enveloppé [transi] dans sa pelisse, se serrait [tenait] à l’angle de la maison.

“Que restent-ils là à baguenauder toute la nuit ? se demandait un garçon d’hôtel, le visage pâle et tiré, assis dans l’autre [une] chambre. C’est toujours ma chance [ainsi] quand je suis de service.” » [*]

 

La première traduction française des Cosaques de Léon Tolstoï parut en 1878 dans le Journal de Saint-Pétersbourg.

Le 9 janvier 1879, Ivan Tourgueniev écrivit à Tolstoï :

« Il se trouve ici un éditeur qui désirerait publier en volume la traduction parue dans le Journal de Saint-Pétersbourg. Mais comme il sait que cette traduction est faible, il voudrait que l’écrivain français Durand (qui possède parfaitement la langue russe) et moi, nous révisions soigneusement cette traduction, ce que nous ferons volontiers (j’écrirai une petite préface) » (Ivan Tourguéneff d’après sa correspondance avec ses amis français, Bibliothèque Charpentier, Eugène Fasquelle, 1901).

Dans ce même livre, Halpérine-Kaminsky, qui précise qu’Henri Durand-Gréville avait déjà proposé en 1874 à Tolstoï de traduire Les Cosaques « sous la direction de Tourguéneff » mais que Tolstoï n’avait pas répondu, ajoute :

« Cette traduction, revisée par Tourguéneff et Durand-Gréville, devait paraître chez Plon, mais à l'essai, M. Durand, ayant trouvé le travail de  revision plus long qu'une traduction nouvelle, se découragea, et M. Plon ne donna pas suite à ce projet. »

Finalement, Les Cosaques ne furent publiés en France qu’en 1886 chez Hachette (déjà l’éditeur de La Guerre et la Paix et d’Anna Karénine), avec, en complément, Souvenirs de Sébastopol (les Récits de Sébastopol, de décembre 1854, mai et août 1855), titrés à l’intérieur Scènes du siège de Sébastopol — le tout avec la simple mention : « Traduits du russe. »

Cette traduction fut la seule disponible pendant quinze ans et très fréquemment rééditée. Une autre traduction anonyme (très mauvaise) parut en 1901 chez Flammarion (en ligne sur BnF Gallica) jusqu’à celle, chez Stock en 1902, de J.-W. Bienstock sous la supervision de Pavel Birioukov.

Souhaitant, après Hadji-Mourat, lire Les Cosaques, œuvre de « jeunesse » (elle fut commencée au Caucase en 1852 et terminée en 1862) de Tolstoï, j’ai consulté plusieurs éditions françaises dont celle, excellemment préfacée par Édouard Krakowski, d’une « traduction nouvelle de Yacha Zwizagora ».

J’ai été très frappé des similitudes (je vous en laisse juges) de cette version avec le texte de la traduction anonyme de 1886 : on devine qu’il s’agit en fait d’une réécriture, un rewriting de cette dernière…

Au fait, « l’autre chambre » du dernier paragraphe, qui a posé problème au réviseur, semble être tout simplement « l’antichambre » ou le vestibule.

 

Michel Sender.

 

[*] Les Cosaques – Souvenirs de Sébastopol du comte Léon Tolstoï, traduits du russe, Librairie Hachette, Paris, 1886 (Wikisource).

** Les Cosaques (Казаки, 1863) de Léon Tolstoï, traduction nouvelle de Yacha Zwizagora, préface de Édouard Krakowski, illustrations inédites de Pierre Chaplet, collection « Le Club des Trois Couronnes », ODEJ-Presse, Paris, juillet 1966 ; 288 pages (relié cartonné).

J’ai mis entre crochets les modifications apportées par « Yacha Zwizagora » à la traduction anonyme de 1886.

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