"Le Prince des voleurs" d'Alexandre Dumas

Publié le par Michel Sender

"Le Prince des voleurs" d'Alexandre Dumas

« C'était sous le règne de Henri II et en l'an de grâce 1162 : deux voyageurs, aux vêtements souillés par une longue route et aux traits exténués par une longue fatigue, traversaient un soir les sentiers étroits de la forêt de Sherwood, dans le comté de Nottingham.

L'air était froid ; les arbres, sur lesquels commençait à poindre la faible verdure de mars, frissonnaient au souffle des dernières bises de l'hiver, et un sombre brouillard s'épanchait sur la contrée à mesure que les rayonnements du soleil couchant s'éteignaient dans les nuages empourprés de l'horizon. Bientôt le ciel devint obscur, et des rafales passant sur la forêt présagèrent une nuit orageuse.

— Ritson, dit le plus âgé des voyageurs en s'enveloppant dans son manteau, le vent redouble de violence ; ne craignez-vous pas que l'orage nous surprenne avant notre arrivée, et sommes-nous bien sur la bonne route ?

— Nous allons droit au but, milord, répondit Ritson, et, si ma mémoire n'est pas en défaut, nous frapperons avant une heure à la porte du garde forestier. » [*]

 

Le « Robin des Bois » (à l’origine inconnu sous ce titre : c’était le Freischütz de Carl Maria von Weber que l’on traduisait ainsi) d’Alexandre Dumas (1802-1870), parut après sa mort chez Michel Lévy en deux parties : Le Prince des voleurs (deux volumes en 1872) et Robin Hood le Proscrit (deux volumes en 1873). Les deux livres s’inclurent ainsi définitivement dans les Œuvres complètes d’Alexandre Dumas ; ils furent diffusés et réédités à de multiples reprises, et sont aujourd’hui encore attribués à Dumas sans aucune autre précision.

En réalité, nous savons qu’il s’agit d’une traduction-adaptation (le texte original est parfois résumé) de Robin Hood and Little John or The Merry Men of Sherwood Forest (1840) de Pierce Egan the Younger (1814-1880) réalisée par Victor Perceval (1835-1887), pseudonyme de Marie-Laure Chaufour, dite aussi Marie de Fernand (voir ce blog le 27 septembre 2020, à propos des traductions d’Ivanhoé).

La parution française du Robin Hood de Pierce Egan, traduit de l’anglais par Victor Perceval, est attestée par la Bibliographie de la France du 1er août 1863 et figure ensuite dans le Musée littéraire du journal Le Siècle. Nous voyons d’ailleurs que (contrairement aux éditions Michel Lévy qui donnent 1162) le roman débute, comme l’original anglais, en 1161 [**]. Autrement le texte est celui des quatre volumes signés « Alexandre Dumas ». (Le plus drôle est que les deux titres de Dumas furent retraduits en anglais par Alfred Allinson en 1904 : The Prince of Thieves et Robin Hood the Outlaw, « by Alexandre Dumas ».)

« Collaboratrice » et maîtresse d’Alexandre Dumas (elle en eut une fille, née en 1859, prénommée Alexandrine), Victor Perceval traduisit pour lui, dès 1856 avec notamment Mémoires d’un jeune cadet (paru dans Le Mousquetaire puis chez Barba), des ouvrages anglais qu’il utilisa ensuite sous son nom. Leur collaboration (elle participa peut-être pour finir à l’Emma Lyonna de La San Felice) s’interrompit dans les années 1860 mais Victor Perceval publia seule de nombreux romans (voir le Catalogue général de la Bibliothèque nationale de France).

Pierce Egan le jeune (son père, qui portait le même nom, était également écrivain : comme Alexandre Dumas père et fils) fut un feuilletoniste (son Robin Hood and Little John parut de 1838 à 1840 en penny numbers) qui — à l’instar de Thomas Peacock ou de Walter Scott — réaménagea la légende moyenâgeuse de Robin Hood [l’appellation française Robin des Bois viendrait d’une confusion entre les mots anglais hood (capuche) et wood (bois)] et lui inventa des aventures ainsi qu’à ses compagnons, les merry men (joyeux drilles) de la forêt de Sherwood.

Présenté comme le fils caché du comte de Huntingdon adopté par le garde-forestier Gilbert Head, l’origine du nom de notre héros est, en fin du premier chapitre du Prince des voleurs, ainsi expliquée : « L’orphelin fut donc nommé Robin Head. Plus tard, et sans cause connue, le mot Head se changea en Hood, et le petit étranger devint célèbre sous le nom de Robin Hood. »

Le Robin Hood and Little John de Pierce Egan, qui constitue un tout respecté par la première publication du Siècle, a ensuite été artificiellement découpé en deux parties chez Michel Lévy, ce qui fait que Le Prince des voleurs se termine abruptement et appelle une suite, mention qui souvent disparaît des éditions modernes.

Cette première moitié de Robin Hood installe les principaux personnages de l’histoire : Robin, Allan Clare et William, respectivement amoureux de Marianne (la sœur d’Allan), de Christabel (la fille du baron Fitz-Alwine, le méchant qui refuse le choix de sa fille et qui précipite « l’engagement » de Robin dans l’illégalité) et Maude, la servante de Marianne.

Aux côtés de Robin apparaissent également deux de ses « complices », frère Tuck, moine bon vivant et plutôt iconoclaste, et, bien sûr, Petit-Jean, au sobriquet faussement dépréciatif car en fait il s’agit d’un géant tonitruant et vindicatif.

Voici mises en place les prémices des aventures de Robin Hood le proscrit

 

Michel Sender.

 

[*] Robin des Bois — Le Prince des Voleurs (1872) d’Alexandre Dumas, éditions J’ai lu [première parution dans la collection : octobre 1996], Paris, mars 2013 ; 288 pages (exemplaire gratuit).

 [**] « C'était sous le règne de Henri II et en l'an de grâce 1161 : deux voyageurs, aux vêtemens souillés par une longue route et aux traits exténués par une longue fatigue, traversaient un soir les sentiers étroits de la forêt de Sherwood, dans le comté de Nottingham. »

« EGAN. — Robin Hood ; par Pierce Egan. Traduit de l'anglais par Victor Perceval. In-4° à 2 col., 167 p. Paris, impr. Voisvenel ; 16, rue du Croissant. 2 fr.50 c. Publications du journal le Siècle. » (Bibliographie de la France, 1er août 1863, page 360.) Inclus dans le Musée littéraire (Choix de littérature contemporaine française et étrangère), trente et unième série, Au bureau du Siècle, Paris, sans date (pages 1-167). Une note précise : « Ivanhoe, traduction de Victor Perceval, est compris dans la 26e série du Musée littéraire. » (Disponible sur BnF Gallica.)

Ultérieurement (vers 1880-1881), le périodique Les Bons Romans des éditions Calmann-Lévy donna en feuilleton la totalité de Robin Hood, comme : Le Prince des voleurs de Pierce Egan « publié par Alexandre Dumas » (numéros 2032 à 2076, 21e année, 40e volume).

Publié dans Littérature

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