"L'Homme au pied bot" de Valentine Williams

Publié le par Michel Sender

"L'Homme au pied bot" de Valentine Williams

« Le gérant, qui compulsait le registre de l’hôtel, leva et secoua la tête :

— Je suis désolé, monsieur, dit-il, mais il n’y a pas un seul lit vacant dans l’établissement, et il ferma brusquement le registre.

Au dehors la pluie tombait à flots et toutes les personnes qui entraient dans le vestibule, brillamment éclairé, de l’hôtel y étaient accompagnées d’un torrent d’eau. J’aurais préféré mourir qu’affronter à nouveau les rues éventées de Rotterdam.

Je me tournais encore une fois vers le gérant qui était maintenant occupé à ranger les clés.

— N’avez-vous vraiment pas un coin libre ? Tout me serait indifférent, car ce n’est que pour une nuit…

— Je suis navré, monsieur. Nous avons déjà deux clients qui couchent dans la salle de bains. Si vous aviez retenu une chambre… » [*]

 

Valentine Williams (1883-1946), par ailleurs grand admirateur d’Émile Gaboriau (son étude pour la National Review est souvent citée), écrivit L’Homme au pied bot durant la Grande Guerre où il avait été blessé.

Il nous plonge — nous qui avons été bercés par les romans d’espionnage de la Guerre froide et du Rideau de Fer — dans l’Allemagne impériale de la Première Guerre mondiale, isolée du fait du conflit mais rayonnante militairement avant la défaite.

Pour cela Valentine Williams, qui fait débuter son roman à Rotterdam, imagine un jeune militaire anglais, Desmond Oakwood, à la recherche de son frère Francis, disparu en Allemagne.

Desmond, pas du tout un agent secret, va ainsi, de hasards en opportunités imprévues, se trouver précipité dans le monde du renseignement après avoir récupéré malgré lui la moitié d’un document compromettant pour le Kaiser.

Il doit alors, sous une identité d’emprunt, quitter Rotterdam pour Berlin, s’y cacher ensuite en travaillant dans une brasserie, puis partir pour Düsseldorf y rejoindre son frère, avant de parvenir à quitter l’Allemagne par Clèves et le passage clandestin de la frontière hollandaise.

Les difficultés que rencontre Desmond sont avant tout dues à un personnage mystérieux et sanguinaire, le docteur Grundt, dit « le Stelze » (le Boiteux) à cause du pied bot qui le handicape, un personnage obséquieux et fourbe, chef de l’Abteilung Sieben (« Abt VII »), un service parallèle qui travaille pour l’Empereur…

D’une lecture facile et plus romans d’aventures que d’espionnage, puisque son héros principal est un novice, L’Homme au pied bot de Valentine Williams joue (sans oublier un antisémitisme foncier) sur l’anti-germanisme de l’époque et, éliminé dans ce premier épisode, le méchant, le Pied Bot, sera plus tard (Le Retour du Pied Bot, 1922) ressuscité par son auteur et relancé régulièrement dans de nouvelles histoires.

 

Michel Sender.

 

[*] L’Homme au pied bot (The Man with the Clubfoot, 1918) de Valentin[e] Williams, traduit de l’anglais par Miriam Dou-Desportes [Librairie des Champs-Élysées, 1927], préface de Francis Lacassin, collection « Les Classiques de l’espionnage », Edito-Service, Genève, 1973 ; XLIV + 276 pages (cartonné).

Publié dans Littérature

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