"Le Grand Secret" de René Barjavel

Publié le par Michel Sender

"Le Grand Secret" de René Barjavel

« Le 17 janvier 1955, un peu après onze heures du matin, le Pandit Nehru, Premier ministre de l’Inde, ouvrit la séance de ce qu’on nommerait en France un Conseil des ministres. Il mit immédiatement en discussion les mesures à prendre pour parer à la famine qui ravageait le Bihar. Cette grande plaine du nord de l’Inde n’avait pas reçu une goutte de pluie depuis trois ans. Sur sa terre craquelée, les gens et les bêtes perdaient peu à peu l’eau et la chair de leur corps, et devenaient squelettes avant de mourir.

Ce qu’il fallait faire, c’était simple : irriguer le Bihar avec les eaux du Gange. Cela demanderait un demi-siècle. Distribuer de la nourriture. On n’en avait pas. Prier pour que la pluie tombât. On priait depuis toujours. » [*]

 

Un peu par hasard (encore que le précédent livre présenté ici soit L’Homme qui revient de loin de Gaston Leroux : voir ce blog le 8 août 2020), j’ai ouvert Le Grand Secret (un de ses Romans extraordinaires comme il aimait les appeler) de René Barjavel (1911-1985), écrivain très célèbre dans la deuxième moitié du XXe siècle.

Près de cinquante ans après, Le Grand Secret nous estomaque par sa vigueur, son avancée dynamique et jamais lassée dans l’uchronie narrative, une écriture fluide, presque journalistique, un sujet qu’on ose à peine révéler.

D’ailleurs, pendant presque la moitié de l’ouvrage, René Barjavel nous cache « le grand secret » qui fait disparaître de notre monde plusieurs personnages, avec la complicité et l’accord des hommes politiques de l’époque (de De Gaulle à Kennedy, en passant par Nehru, Elizabeth II, Khrouchtchev ou Mao), et nous plonge dans un mystère profond, proche des pratiques de l’espionnage.

Mais c’est une femme acharnée et courageuse, Jeanne (« Comme une Jeanne d'autrefois », précise l’auteur), qui fait basculer l’intrigue en obtenant de pouvoir rejoindre l’homme qu’elle aime et d’intégrer une île cachée au large de l’Alaska où demeurent dorénavant les personnes contaminées par le virus JL3.

Il s’agit d’un virus qui, en fait, arrête le vieillissement et rend donc, sauf accident ou volonté personnelle — immortel. Ainsi, dix-sept ans après, Jeanne retrouve-t-elle son amant Roland qui, lui, a toujours la trentaine, alors qu’elle, a dépassé les cinquante ans.

À cause de la transmissibilité du JL3, tous les résidents de l’île vivent en vase clos, comme dans une bulle (« Comme le paradis », ajoute l’auteur), où les enfants arrêtent de vieillir vers dix-huit ans et où personne de meurt.

Jeanne, pour rester mortelle, teste un vaccin, le C41, qui s’avère inefficace et se pose, dès lors, l’impossibilité de pouvoir survivre — sauf à empêcher toute naissance ou à euthanasier les vivants — à long terme sur cet îlot, pourtant paradisiaque, où notamment la liberté sexuelle a atteint son summum…

Dans Le Grand Secret, René Barjavel a établi une utopie simple et salutaire mais qui s’écroule, comme souvent, devant la réalité, l’inéluctable.

En tout cas, cela reste une fable à méditer.

 

Michel Sender.

 

[*] Le Grand Secret de René Barjavel [Presses de la Cité, 1973], éditions Presses Pocket, Paris, juin 1974 ; 384 pages (impression de février 1982).

"Le Grand Secret" de René Barjavel

De René Barjavel, ne pas oublier aussi, autre fable du réel, Les Chemins de Katmandou (Presses de la Cité, 1969 ; Presses-Pocket 1972).

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