"Sur les rives du fleuve Mahé" de Maniyambath Mukundan

Publié le par Michel Sender

"Sur les rives du fleuve Mahé" de Maniyambath Mukundan

« Il y a longtemps, très longtemps, bien avant la naissance de Dasan.

Très animée aujourd’hui, la rue de la Résidence* n’était qu’une petite rue étroite au revêtement inégal. Tout comme la rue de la Prison* et la rue du Gouvernement*. Le mur blanc de la jetée qui sépare la mer et le fleuve du rivage n’existait pas à l’époque, pas plus que la rangée de projecteurs dont on l’a équipé pour éclairer l’eau. Sur des réverbères très espacés, des lampes à pétrole diffusaient une maigre lueur le long de certaines rues importantes comme la rue de l’Église* et la rue de la Résidence. Elles s’éteignaient généralement d’elles-mêmes vers minuit, plongeant Mahé dans l’obscurité.

Mais dans la résidence de Big Sahib, là-haut, sur la colline, les lanternes continuaient de brûler bien après minuit. L’arrière de la résidence donnait sur la mer. La nuit, par temps clair, les fenêtres projetaient des rectangles de lumière sur l’eau calme. Depuis la plage, à l’aube, on pouvait voir, entourée de pins et d’eucalyptus, l’élégante demeure se refléter sur la mer. » [*]

* En français dans le texte.

 

Maniyambath Mukundan, qui signe M. Mukundan, écrivain indien né en 1942 à Mahé, comptoir français sur la côte de Malabar, a écrit Sur les rives du fleuve Mahé en langue malayalam, livre traduit plus tard en anglais avec sa participation.

L’intérêt pour nous réside dans le fait qu’il y évoque la société, peu avant et après l’indépendance de l’Inde, de la petite ville de Mahé, rattachée à l’administration française de Pondichéry, et remise en cause avec la fin du Raj britannique.

Mahé, au bord de la mer d’Arabie et à l’estuaire de la rivière Mayyazhi dans l’État actuel du Kerala, vivait alors comme dans une bulle, dirigée par les sahibs locaux, plutôt paternalistes mais avec une police et des goonda (voyous auxiliaires de la police) d’une extrême violence.

Dasan, fils d’un copiste notarial, fait alors — très influencé par le maître Kunhanandan, professeur à l’école des garçons qui souffre d’une maladie incurable — d’excellentes études qu’il poursuit, grâce à une bourse du Big Sahib local, à Pondichéry.

De retour à Mahé, Dasan, avec le soutien des autorités pourrait partir pour des études supérieures en France ou occuper un poste officiel, mais, comme son maître, il se révèle communiste et refuse toute collaboration. « “Travailleurs de tous les pays, unissez-vous. Vous n’y perdrez que vos chaînes.” La première fois qu’il avait lu ces lignes, un sentiment d’exaltation l’avait envahi », nous dit l’auteur à propos d’un de ses congénères admirateur comme lui du Manifeste du parti communiste.

Ainsi, en 1948, il organise, avec d’autres militants, une manifestation qui tourne à l’émeute, entraînant, du fait de leur impréparation, l’intervention de l’armée et l’interdiction de tous les opposants. Condamné à douze ans de prison, Dasan se réfugie hors des limites de la ville, mais, revenu clandestinement à Mahé, il est arrêté et emprisonné.

Pendant ce temps, la population reprend ses activités sous domination coloniale, sachant que, petit à petit, les membres du Mouvement de Libération, poursuivant la lutte et isolant progressivement les notables étrangers, obtiennent finalement, en 1954, le départ des Français.

Pourtant, libéré de prison, Dasan ne souhaitera pas obtenir un siège du nouveau pouvoir, il penchera naturellement, comme son ancien maître disparu, pour l’enseignement, puis, ne pouvant épouser celle qu’il aime depuis toujours, sombrera dans le désespoir…

Sur les rives du fleuve Mahé s’inscrit dans une magnifique lignée de littérature anticoloniale et de libération des peuples, M. Mukundan accordant beaucoup de soin, sans manichéisme ni simplisme facile, à la description des mœurs des habitants et aux contradictions inhérentes à leur situation.

 

Michel Sender.

 

[*] Sur les rives du fleuve Mahé (Mayyazhi puzhayute Theerangalil, 1974 ; On the Banks of the Mayyazhi, 1999) de Mukundan, roman traduit de l’anglais par Sophie Bastide-Foltz, collection « Lettres indiennes », éditions Actes Sud, Arles, novembre 2002 ; 304 pages, 23 €.

Publié dans Littérature

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