"La Maison du Peuple" de Louis Guilloux

Publié le par Michel Sender

"La Maison du Peuple" de Louis Guilloux

« Après les malheurs du début, mes parents vinrent loger dans trois petites mansardes, à l’autre bout de la ville. Par bonheur, ces mansardes étaient pleines de lumière. Les deux plus belles ouvraient sur le parc de la préfecture, et, des fenêtres, on ne voyait que des arbres dans le ciel.

L’une servait de cuisine. C’est là aussi que nous couchions, mes deux sœurs et moi, dans des lits que mon père nous avait fabriqués avec des planches. Dans l’autre, mes parents avaient fait leur chambre, que nous appelions « la belle chambre », parce que leurs objets les plus précieux y étaient rassemblés. » [*]

 

D’avoir relu O. K., Joe ! (voir ce blog le 8 novembre 2022) m’a donné envie de reprendre le premier livre de Louis Guilloux, La Maison du Peuple, paru — sous les auspices de Jean Guéhenno — chez Grasset en 1927.

Et, de nouveau, c’est l’enchantement de ses courts chapitres, de son écriture précise et réaliste, du témoignage précieux de Louis Guilloux sur ses parents, où il évoque avant tout son père, ouvrier cordonnier, mais aussi longuement la maladie de sa mère ou encore la mort de sa grand-mère.

Toujours soucieux de discrétion, Louis Guilloux a fait de La Maison du Peuple un court roman très ramassé où les noms des personnages sont inventés mais dont l’histoire recoupe de très près la vérité sociale et autobiographique.

« Il étouffait pourtant dans sa petite ville, mais il ne l’aurait quittée pour rien au monde. L’idée même qu’il pût vivre ailleurs ne lui venait pas à l’esprit », nous dit Louis Guilloux de François Quéré, cordonnier comme son père et qui en conserve les convictions (« Depuis plus de quarante ans qu’il était sur le métier, mon grand-père n’avait jamais cessé de verser sa cotisation à la Société de secours mutuels », précise l’auteur) mais en s’engageant, lui, beaucoup plus clairement pour les syndicats et le socialisme.

Car, très influencé par un docteur qui dirige un journal revendicatif, il participe à la création d’une section locale socialiste qui se réunit à la Bourse du travail et organise des manifestations, avant de carrément se présenter (« sur le principe de la R. P. », la représentation proportionnelle, même si le sigle n’est jamais explicité) aux élections municipales.

Des élections municipales qui seront la cause de l’éclatement du groupe socialiste, le docteur qui les représentait initialement n’ayant pas respecté la R. P. et ayant manœuvré pour se faire élire maire.

Louis Guilloux (né en 1899) a repris, en les résumant pour les rendre intelligibles, des événements réels s’étant déroulés à Saint-Brieuc (ville néanmoins jamais citée dans le récit) au début du XXe siècle et ayant impliqué son père, jusqu’à son projet final, après un certain découragement, de reformer une section socialiste et de construire, sur un terrain acheté collectivement, une Maison du Peuple.

Les travaux débutent… mais tout est arrêté, en août 14, par la mobilisation générale et l’éparpillement des camarades…

Tout au long de ce récit d’une authenticité indéniable, Louis Guilloux a conservé une grande sobriété et une extrême mesure (même quand, du fait de son militantisme, son père voit ses commandes baisser et doit quitter son atelier avant de déménager) car, malgré ses origines prolétariennes, il ne veut surtout pas tomber dans le misérabilisme ni dans la littérature populiste.

C’est le cas également pour Compagnons, une nouvelle d’abord publiée séparément (chez Grasset en 1931) et qui, très simplement, raconte la vie d’un ouvrier plâtrier, Jean Kernevel, associé à deux autres compagnons, et qui meurt à petit feu d’une maladie cardiaque…

Albert Camus adorait ce texte — « qui a le ton des grandes nouvelles de Tolstoï (Ivan Ilitch, ici, est devenu maçon) », estimait-il — et plaida pour une réédition groupée, en 1953, avec La Maison du Peuple, dont, reprenant un article paru dans Caliban en janvier 1948, il fit la préface.

 

Michel Sender.

 

[*] La Maison du Peuple (1927) suivi de Compagnons (1931) de Louis Guilloux, préface d’Albert Camus [éditions Bernard Grasset, 1953], Le Livre de Poche, Paris, 1er trimestre 1980 ; 224 pages.

"La Maison du Peuple" de Louis Guilloux

Il n’est plus possible de lire La Maison du Peuple (aujourd’hui disponible en « Cahiers rouges » chez Grasset) de Louis Guilloux sans la préface d’Albert Camus et sans penser au dernier roman de Camus, Le Premier Homme, dont le manuscrit fut retrouvé dans une serviette sur les lieux de l’accident qui lui coûta la vie le 4 janvier 1960 et qui évoque son père, enterré à Saint-Brieuc en 1914, et dont Albert Camus visita la tombe en compagnie de Louis Guilloux…

Publié dans Littérature

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