"Kaé ou les deux rivales" de Sawako Ariyoshi

Publié le par Michel Sender

"Kaé ou les deux rivales" de Sawako Ariyoshi

« Kaé avait huit ans lorsqu’elle vit Otsugi pour la première fois. Elle avait supplié Tami, sa nourrice, de l’emmener à Hirayama, village voisin, dès que celle-ci lui avait raconté l’histoire. C’était en été. Le jardin devant la maison était envahi par les mauvaises herbes, et les fleurs blanches de l’aubergine-qui-rend-fou se détachaient avec une clarté singulière sur le fond vert de l’herbe alourdie de chaleur. Elles ressemblaient merveilleusement au profil blanc d’Otsugi, tel qu’il surgit soudain sous l’auvent de la vieille maison.

— La voilà. C’est elle, Mademoiselle.

Devant la haie de mandariniers sauvages, Tami se retourna fièrement : ses narines semblaient dilatées d’orgueil. Kaé, oubliant dans son ravissement de lui répondre d’un signe de tête, contemplait la belle Otsugi qui arrosait le jardin. » [*]

 

Ayant trouvé récemment Le Crépuscule de Shigezo de Sawako Ariyoshi en collection « Folio » [**], je me suis souvenu que j’avais dans ma bibliothèque un autre roman de cette auteure japonaise, Kaé ou les deux rivales.

Le grand intérêt de ce roman réside dans la force intimiste et féministe de l’écriture de Sawako Ariyoshi, où elle décrit en détail l’admiration-répulsion entre deux femmes, l’opposition entre une belle-mère et sa bru (le choix du titre français, Kaé ou les deux rivales), tandis qu’elle raconte également une étape ancienne (à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe pour nous en Europe) de la médecine au Japon que recoupe le titre original : Hanaoka Seishû no tsuma, « L’épouse de Hanoaka Seishû », un célèbre médecin (1760-1835) ayant réellement existé.

Très jeune, Kaé, fille d’une famille de samouraïs, a été frappée par la beauté d’Otsugi, une femme ayant épousé le médecin, Hanaoka Naomichi, qui, enfant, l’avait sauvée d’une grave maladie de la peau.

Plus tard, c’est Otsugi qui, malgré leur différence de rang social, vient trouver la famille de Kaé pour leur proposer qu’elle se marie avec leur fils Umpei, étudiant déjà très doué et futur médecin, qui prendra alors le nom de Hanahoka Seichû.

Otsugi a fait jouer qu’en rejoignant une dynastie de médecins Kaé ferait preuve d’engagement social et aiderait à l’accomplissement d’un sacerdoce. De fait, les Hanahoka ne sont pas riches et tout le monde, femme, filles et belle-fille, participe à des travaux de tissage et à de multiples tâches pour permettre au fils aîné d’étudier puis de pratiquer son art, en hébergeant par ailleurs ensuite de nombreux apprentis ou disciples.

Dès son arrivée, Kaé a senti de la part d’Otsugi, alors qu’elle était elle-même allée la chercher, une espèce de jalousie, la volonté de la tenir à distance de la famille et de se réserver l’amour exclusif, dû à une mère, de son fils Umpei, homme important et un génie.

La rivalité entre les deux femmes va alors se manifester curieusement, en se battant entre elles pour tester un analgésique auquel travaille leur fils et mari : il a d’abord essayé sa mixture sur différents animaux, chats et chiens, avant de céder à sa mère en lui faisant prendre en premier son médicament somnifère, son but restant de pouvoir effectuer des opérations sous anesthésie, ce à quoi, pour la première fois au Japon, il parviendra.

Entre-temps, sa femme Kaé a servi de cobaye à son tour pour une deuxième expérimentation, qui réussira, mais qui, effet secondaire, la rendra progressivement aveugle, exemple même du dévouement absolu à la science et à son mari…

Ainsi, chronique à la fois historique et sociétale, Kaé ou les deux rivales de Sawako Ariyoshi nous plonge dans le temps passé mais, par sa proximité narrative, comme s’il s’agissait d’un récit d’aujourd’hui, sans âge et universel.

 

Michel Sender.

 

[*] Kaé ou les deux rivales (Hanaoka Seishû no tsuma, 1966) de Sawako Ariyoshi, roman traduit du japonais par Yoko Sim et Patricia Beaujin [éditions Stock, 1980], Club pour vous-Hachette [identifiable seulement grâce au logo en page de titre], Paris, juillet 1981 ; 240 pages (volume cartonné sous une jaquette comportant une coquille, Savako, sur le prénom de l’auteure).

"Kaé ou les deux rivales" de Sawako Ariyoshi

[**] Le Crépuscule de Shigezo (Kôkotsu no hito, 1972) de Sawako Ariyoshi, traduit par Jean-Christian Bouvier, est paru en 1986 chez Stock sous le titre Les Années du crépuscule, avant d’être réédité au Mercure de France puis en « Folio » sous ce nouveau titre.

"Kaé ou les deux rivales" de Sawako Ariyoshi

Kaé ou les rivales, comme deux autres romans de Sawako Ariyoshi (Les Dames de Kimoto et Le Crépuscule de Shigezo), a été réédité au Mercure de France.

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