"L'Amateur" de Robert Littell
« Telle la proue d’un brise-glace s’ouvrant une route vers la retraite, Madame le Consul Général lève à demi la main droite et demande d’une voix idéale pour annonces d’aéroport :
— Jurez-vous ou affirmez-vous avoir dit la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ? (Sans attendre la réponse, elle applique le timbre du consulat sur la signature, appose son paraphe à côté et glisse la demande de passeport à travers le guichet vitré au vieux monsieur très digne qui porte un feutre mou posé bien droit sur sa tête.) Guichet du caissier, second étage, douze dollars américains ou l’équivalent en monnaie allemande, psalmodie-t-elle. (Et, quittant le monsieur du regard comme s’il cessait simplement d’exister, elle lance) : Au suivant !
Les suivants, c’est un jeune couple, des Américains eux aussi à en juger par leur allure ; le jeune homme triture nerveusement son nœud de cravate, la fille boutonneuse n’arrête pas de faire des sourires.
— Nous nous intéressons aux questions conjugales, explique timidement le jeune homme.
La fille possède un sens de la précision plus développé :
— Nous voulons nous marier. Ensemble. Aujourd’hui si possible. Demain au plus tard. » [*]
Dans l’attente de pouvoir acheter Bronstein dans le Bronx [**], le dernier ouvrage de Robert Littell, je suis tombé sur une ancienne édition de L’Amateur, un remarquable thriller que je ne connaissais pas [***].
L’Amateur de Robert Littell, bien sûr, c’est un roman d’espionnage : son personnage principal, Charlie Heller, travaille pour la Compagnie (la CIA), mais dans un bureau, comme spécialiste des codages.
C’est aussi, surtout, une histoire de vengeance, à la Monte Cristo ou dans le style du Munich de Steven Spielberg : sa fiancée a été tuée dans une prise d’otages en Allemagne.
Charlie Heller n’est pas un agent de terrain, un professionnel ; il se dit lui-même un amateur.
Cependant, comme il a accès à de nombreux documents confidentiels, après une période de dépression et de doute, il va décider de faire chanter son employeur et d’obtenir une formation pour être expédié en Tchécoslovaquie (en français, le film tiré du roman s’intitule L’Homme de Prague) où sont réfugiés les terroristes (soutenus par le KGB) responsables de l’attentat ayant provoqué la mort de sa fiancée, pour les éliminer.
Or, alors que — en dehors du chantage auquel se livre envers elle Charlie Heller — la CIA devrait être contente de combattre des suppôts du KGB, curieusement, elle fait tout pour l’empêcher d’agir et pour se débarrasser de lui…
Je ne vous raconterai pas (dans notre langue, je ne vous spolierai pas) tous les rebondissements du livre (il y a aussi une touchante histoire d’amour) mais sachez que Robert Littell, comme toujours, reste un maître de la narration d’intrigue et du suspense.
Mais encore, comme son héros, Charlie Heller, s’avère avant tout un maniaque de la cryptologie, du chiffrage et des codes secrets, Robert Littell s’amuse à nous régaler de quelques palindromes ou d’une théorie (je ne vous révèlerai pas laquelle) sur le véritable auteur des pièces de Shakespeare…
Bref, une nouvelle fois, Robert Littell nous séduit totalement !
Michel Sender.
[*] L’Amateur (The Amateur, 1981) de Robert Littell, traduit de l’américain par Claude Gilbert [Presses de la Cité, 1981], éditions France Loisirs, Paris, juillet 1982 ; 256 pages, 42 F (volume cartonné sous jaquette, photo de couverture extraite du film).
[**] Bronstein dans le Bronx de Robert Littell, traduit par Cécile Arnaud, vient de paraître chez Flammarion.
[***] L’Amateur a depuis notamment été réédité en « J’ai lu ».
Requiem pour une Révolution vient tout juste d’être également réédité en « J’ai lu ». À ne pas manquer.
Sur ce blog, j’ai parlé de plusieurs ouvrages de Robert Littell : L’Hirondelle avant l’orage (le 23 avril 2010), Légendes (le 5 mai 2023) et La Peste sur vos deux familles (le 31 août 2023).