"Les Derniers Jours du Parti socialiste" d'Aurélien Bellanger
« Avant d’être le responsable de la fin de l’âge d’or du Parti socialiste, le fossoyeur de la synthèse mitterrandienne, du compromis jospiniste, de la rébellion anaphorienne du hollandisme contre les dérives droitières du sarkozysme, avant d’être celui qui a rendu possible que la séquence ouverte en 1789, plus grande et plus longue séquence progressiste de l’histoire mondiale, s’achève, avant d’être celui qui a retiré le progrès à la gauche et qui a fait de celle-ci un bastion réactionnaire, Grémond avait été un sympathisant anonyme, un militant passionné, un syndicaliste étudiant, un membre du Mouvement des jeunes socialistes. Il avait pu mesurer, pas à pas, tout le chemin à parcourir pour devenir quelqu’un dont la voix compte à la tribune, et qui pourrait, dans les congrès, apporter les suffrages qui feront la différence. C’était là son rêve depuis toujours. Mais il n’a jamais méprisé, pour autant, le travail de terrain, les aspects les plus concrets de son engagement : le tractage, le collage d’affiches, les discussions politiques à n’en plus finir pour convaincre du bien-fondé du projet socialiste ceux à qui l’ancien allié communiste avait fait un peu peur, ou ceux qui, venant au contraire du gauchisme, tenaient les socialistes pour des social-traîtres. » [*]
Lancé avec pas mal de publicité et quelques interviews réussies, le roman d’Aurélien Bellanger, Les Derniers Jours du Parti socialiste, n’a finalement pas eu un accueil critique très favorable.
À ma connaissance, à part un excellent article d’Arnaud Viviant dans Regards, il a été (bien sûr) attaqué à plate couture dans Le Point, L’Express, Le Figaro ou Marianne, et très peu défendu dans Le Monde, Libération, Télérama ou Le Nouvel Obs. Il n’obtiendra probablement aucun prix littéraire.
Peu importe. C’est le destin des ouvrages polémiques qui traitent de l’actualité immédiate, mais nous savons que, dans quelques mois, dans quelques années, quand les Grémond, Taillevent, Frayère et autres Véronique Bourny ou Revêche seront oubliés, le livre restera et pourra être lu et relu avec un recul salutaire.
Souvent, les romans d’Honoré de Balzac ont été fort mal accueillis en leur temps : ils sont truffés de faits et de personnages connus à l’époque dont plus personne ne se souvient aujourd’hui, comme nous avons perdu de vue les minables publicistes d’alors qui pourfendaient La Comédie humaine, comme d’autres, plus tard, caricatureront Émile Zola et le naturalisme.
Même si le titre peut en sembler exagéré (en effet, les derniers jours du parti socialiste ne sont pas encore terminés, ils sont toujours en cours), il recoupe une réalité bien actuelle, comme les derniers jours de Pompéi préfiguraient le déclin puis la chute de l’empire romain.
L’histoire du Mouvement du 9 décembre que nous raconte Aurélien Bellanger reste symptomatique d’un enfumage idéologique — celui du dévoiement du concept de laïcité —, d’une tromperie médiatique qui empoisonne le débat politique et accompagne une dérive accentuée du socialisme vers un libéralisme économique et social exacerbé.
Il y a des périodes comme cela, où toutes les valeurs se retrouvent inversées et mènent à la catastrophe : les changements sociaux s’avèrent des régressions sociales, les réformes des contre-réformes, les libérations de nouvelles censures, les nouvelles idées la reprise d’antiennes réactionnaires, etc.
Ainsi, de nos jours, Marine Le Pen et Jordan Bardella défendent Israël, les Juifs et la laïcité tandis que les soutiens des Palestiniens sont des antisémites et des islamo-gauchistes : incroyable !
C’est de tout ça dont nous parle Aurélien Bellanger, un cirque dont d’ailleurs il ne s’exclut pas lui-même en se parodiant par la présence de son avatar, l’écrivain Sauveterre. Il ne dédaigne pas non plus une certaine démesure imaginative pour ajouter à la satire, la fin de son uchronie contemporaine virant au baroquisme et à l’eau de boudin…
Ce qui n’enlève rien à notre plaisir de voir étriller le Chanoine qui croit nous gouverner, ses courtisans ou son ancien ministre de l’Éducation nationale, avec des accents de réalisme indéniables, par exemple lorsqu’il écrit :
« La France avait été près, pourtant, à l’automne 2018, au moment des Gilets jaunes, de se réveiller brusquement. “Qu’ils viennent me chercher”, avait déclaré le Chanoine quelques mois plus tôt. Il avait été entendu. Mais les gardes s’étaient avérés mieux armés que prévu. Et on les avait surtout autorisés à faire un usage disproportionné de la force. On avait lâché des brigades motorisées dans les rues de Paris, des mains avaient été arrachées, des yeux crevés. Tout ça pour qu’un Taillevent puisse claironner sur Twitter ou dans son journal que la République, face à la rue, n’avait pas perdu la face. »
C’est pourquoi l’homme du peuple aime aussi, toujours, que Guignol tabasse parfois le gendarme, que le fou du roi lui dise ses vérités : ça le console même si ça ne le fait pas gagner.
Les Derniers Jours du Parti socialiste d’Aurélien Bellanger sonne ainsi pour nous comme une sorte de consolation.
Michel Sender.
[*] Les Derniers Jours du Parti socialiste d’Aurélien Bellanger, éditions du Seuil, Paris, août 2024 ; 480 pages, 23 €.