"Le Vilain Petit Canard" de Hans Christian Andersen
« Comme il faisait bon dans la campagne !
C’était l’été.
Les blés étaient dorés, l’avoine verte, les foins coupés embaumaient, ramassés en tas dans les prairies, et une cigogne marchait sur ses jambes rouges, si fines et si longues et claquait du bec en égyptien (sa mère lui avait appris cette langue-là).
Au-delà, des champs et des prairies s’étendaient, puis la forêt aux grands arbres, aux lacs profonds.
En plein soleil, un vieux château s’élevait entouré de fossés et au pied des murs poussaient des bardanes aux larges feuilles, si hautes que les petits enfants pouvaient se tenir tout debout sous elles.
L’endroit était aussi sauvage qu’une épaisse forêt, et c’est là qu’une cane s’était installée pour couver. Elle commençait à s’ennuyer beaucoup. C’était bien long et les visites étaient rares ; les autres canards préféraient nager dans les fossés plutôt que de s’installer sous les feuilles pour caqueter avec elle. » [*]
Après La Petite Fille aux allumettes (voir ce blog le 4 décembre 2024), j’ai eu envie de relire Le Vilain Petit Canard de Hans Christian Andersen dans un album dédié illustré par Gerda Muller.
Publié en novembre 1843 dans le premier volume de Nye Eventyr (« Nouveaux Contes », le terme eventyr pouvant signifier « aventure », « histoire », pas forcément « conte de fées »), Le Vilain Petit Canard se lit comme un conte pour les enfants mais avec évidemment un second niveau de lecture, ce qui en fait sa force, comme celle d’une fable.
Il n’est pas trop la peine de raconter le détail des vicissitudes de ce vilain petit canard, issu d’une même couvée mais très vite ne ressemblant pas aux autres canetons, rejeté par la communauté et mis en péril, avant de se révéler être un cygne.
On sait que Hans Christian Andersen y a mis des éléments autobiographiques, dus à son sentiment d’être laid physiquement et moralement incompris, et Boris Cyrulnik, depuis, dans Les Vilains Petits Canards (paru chez Odile Jacob en 2001), en a réalisé toute une étude, pierre de touche de son concept de résilience.
C’est pourquoi lire ou relire Le Vilain Petit Canard fait du bien aux petits comme aux grands. Il y a d’abord la très grande sollicitude et l’amour de sa mère (« C’est mon petit à moi. Il est même beau quand on le regarde bien », dit-elle), l’auto-discrimination du petit canard (« “Je suis si laid que je leur fait peur”, pensa-t-il en fermant les yeux »), les dangers de l’existence et les obstacles (la chasse), mais aussi la solidarité (l’accueil de la vieille paysanne à la ferme ; le sauvetage du paysan qui l’emmène dans sa famille) et puis la rédemption :
« Il était devenu un cygne ! Car il n’y a aucune importance à être né parmi les canards si on a été couvé dans un œuf de cygne ! Il ne regrettait pas le temps des misères et des épreuves puisqu’elles devaient le conduire vers un tel bonheur ! »
On retrouve là un certain conformisme social cher à Hans Christian Andersen, ainsi que son inquiétude poétique, sa mélancolie, son grand romantisme, qui fait que nous l’aimons, toujours !
Michel Sender.
[*] Le Vilain Petit Canard (Den grimme ælling, écrit en 1842, publié en 1843 dans Nye Eventyr) de Hans Christian Andersen, traduction d’Anne-Mathilde Paraf, illustrations et mise en pages de Gerda Muller, éditions Gautier-Languereau, Paris, 1983 ; impression de juin 1984, 48 pages (volume relié cartonné).
J’aime beaucoup la biographie d’Andersen due à Elias Bredsdorff, traduite en français (d’après l’édition anglaise de 1975) par Claude Carme, aux Presses de la Renaissance (Paris, avril 1989 ; 480 pages + cahier photographique de 24 pages, 160 F).