Revenir à Victor Hugo ("Notre-Dame de Paris", "Le Pont")

Publié le par Michel Sender

Revenir à Victor Hugo ("Notre-Dame de Paris", "Le Pont")

« Il y a aujourd’hui trois cent quarante-huit ans six mois et dix-neuf jours que les Parisiens s’éveillèrent au bruit de toutes les cloches sonnant à grande volée dans la triple enceinte de la Cité, de l’Université et de la Ville.

Ce n’est cependant pas un jour dont l’histoire ait gardé souvenir que le 6 janvier 1482. Rien de notable dans l’événement qui mettait ainsi en branle, dès le matin, les cloches et les bourgeois de Paris. Ce n’était ni un assaut de Picards ou de Bourguignons, ni une châsse menée en procession, ni une révolte d’écoliers dans la vigne de Laas, ni une entrée de notredit très redouté seigneur monsieur le roi, ni même une belle pendaison de larrons et de larronnesses à la Justice de Paris. Ce n’était pas non plus la survenue, si fréquente au quinzième siècle, de quelque ambassade chamarrée et empanachée. Il y avait à peine deux jours que la dernière cavalcade de ce genre, celle des ambassadeurs flamands chargés de conclure le mariage entre le dauphin et Marguerite de Flandre, avait fait son entrée à Paris, au grand ennui de M. le cardinal de Bourbon, qui, pour plaire au roi, avait dû faire bonne mine à toute cette rustique cohue de bourgmestres flamands, et les régaler, en son hôtel de Bourbon, d’une moult belle moralité, sotie et farce, tandis qu’une pluie battante inondait à sa porte ses magnifiques tapisseries.

Le 6 janvier, ce qui mettoit en émotion tout le populaire de Paris, comme dit Jehan de Troyes, c’était la double solennité, réunie depuis un temps immémorial, du jour des Rois et de la fête des fous. » [*]

 

Ce matin, à la vue, dans la presse, des photos de la cérémonie de réouverture de Notre-Dame de Paris, avec son parterre à la Prévert de dirigeants politiques et de personnalités culturelles ou économiques (ce qui à la fois m’amuse et m’indiffère profondément), je suis, bien sûr, revenu à Victor Hugo et à son roman Notre-Dame de Paris.

Un des grands mérites des vicissitudes de la cathédrale parisienne restera en effet pour moi de toujours redonner envie de lire et relire le chef-d’œuvre de Victor Hugo !

Autre curiosité anecdotique, le « chanoine Macron » (même Télérama reprend cette appellation, à cause de Latran — après « le Chanoine » du dernier roman d’Aurélien Bellanger, voir ce blog le 11 novembre 2024), qui nous gave de laïcité, s’est fendu d’un discours dans l’église même.

Plus important, pour revenir à Victor Hugo, Marion Cotillard y a récité un très beau poème, Le Pont, issu des Contemplations [**], où, en exil et après la mort de Léopoldine, Hugo évoque et recherche une intense spiritualité dont on sait qu’elle était tout sauf religieuse.

 

Michel Sender.

 

[*] Notre-Dame de Paris. 1482 (1831) de Victor Hugo, préface d’Adrien Goetz, édition établie et annotée par Benedikte Andersson, collection « Folio classique », édition Gallimard, Paris, 2009 ; réimpression d’avril 2019 (« Bénéfices reversés à rebatirnotredamedeparis.fr »), 960 pages, 5,60 € (édition illustrée).

Revenir à Victor Hugo ("Notre-Dame de Paris", "Le Pont")

LE PONT

 

J’avais devant les yeux les ténèbres. L’abîme

Qui n’a pas de rivage et qui n’a pas de cime

Était là, morne, immense ; et rien n’y remuait.

Je me sentais perdu dans l’infini muet.

Au fond, à travers l’ombre, impénétrable voile,

On apercevait Dieu comme une sombre étoile.

Je m’écriai : — Mon âme, ô mon âme ! il faudrait,

Pour traverser ce gouffre où nul bord n’apparaît,

Et pour qu’en cette nuit jusqu’à ton Dieu tu marches,

Bâtir un pont géant sur des millions d’arches.

Qui le pourra jamais ? Personne ! ô deuil ! effroi !

Pleure ! — Un fantôme blanc se dressa devant moi

Pendant que je jetais sur l’ombre un œil d’alarme,

Et ce fantôme avait la forme d’une larme ;

C’était un front de vierge avec des mains d’enfant ;

Il ressemblait au lys que la blancheur défend ;

Ses mains en se joignant faisaient de la lumière.

Il me montra l’abîme où va toute poussière,

Si profond, que jamais un écho n’y répond,

Et me dit : — Si tu veux je bâtirai le pont.

Vers ce pâle inconnu je levai ma paupière.

— Quel est ton nom ? lui dis-je. Il me dit : — La prière.

 

VICTOR HUGO

Jersey, décembre 1852.

[13 octobre 1854 *]

* Le jour même de l’achèvement de la Bouche d’ombre.

 

[**] Les Contemplations (1856), Livre sixième, Au bord de l’infini, I, page 736, dans : Victor Hugo, Poésie, 1, préface de Jean Gaulmier, présentation et notes de Bernard Leuilliot, collection « L’Intégrale », éditions du Seuil, Paris, septembre 1972 ; 800 pages (volume relié, couverture toilée sous jaquette).

Publié dans Littérature

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