En compagnie d'André Fraigneau

« La mort, mieux que les efforts désordonnés de la ‟moribonde enfantine” qu’elle fut à la fin de sa vie, réussit à la comtesse de Noailles. Le secret des lectures ferventes, le culte voué à ce lyrisme d’une intensité si rare par de jeunes cœurs chaque jour plus nombreux et chaque jour plus ignorants des consécrations tapageuses que le poète vivant chérissait, ont vaincu la défaveur, l’indifférence qui assombrirent les dernières années de l’auteur des Éblouissements. »
En quelques lignes à la fois émues et vachardes, voilà Anna de Noailles « habillée » par un grand témoin de la vie littéraire, l’écrivain André Fraigneau (1905-1991) dont, de temps en temps – malgré sa participation avérée, en octobre 1941, au triste voyage à Weimar réunissant des auteurs collaborationnistes français auprès du docteur Goebbels – on essaye de rétablir la mémoire par de nouvelles publications. Ainsi du recueil d’articles intitulé En bonne compagnie [1] paru récemment au Dilettante.
André Fraigneau n’était pas un homme de gauche et il est certain qu’il se tenait en très bonne compagnie avec Robert Brasillach, Paul Morand ou Roger Nimier et les Hussards qui, eux aussi, ne furent pas de grands républicains ! Cependant, bien entendu, ses souvenirs et son témoignage restent extrêmement intéressants, font partie de l’histoire littéraire...
Cela nous vaut de fréquentes évocations de Jean Cocteau, dont il fut l’ami tout au long de sa vie, ainsi que de ses proches, Raymond Radiguet, Christian Bérard, Christian Dior, Henri Sauguet – et ces amitiés sont sincères, explicites, justifiées par des attachements de jeunesse ou une reconnaissance vive.
« Au temps de mon enfance, les femmes de lettres ne posaient pas devant les photographes en tenant une pile d’assiettes, en feignant de surveiller quelque rôti ou en s’accoudant à un réfrigérateur. Elles s’efforçaient de ressembler à des princesses de légende, à des fées et, se situant hors du commun, de donner à rêver », écrit-il, par exemple, à propos de Marie de Régnier, alias Gérard d’Houville.
Car André Fraigneau a l’art du portrait, en admiration devant Louise de Vilmorin, « la magicienne de Verrières », et même du « portrait indirect » (très drôle entre les lignes) de Paul Morand...
Et cet homme, homosexuel notoire qui provoqua une passion torride chez Marguerite Yourcenar, partit aussi en pèlerinage chez « les dames de Taos », anciennes compagnes de D. H. Lawrence installées au Nouveau-Mexique : c’est un des textes les plus savoureux du recueil.
Mais il n’y a pas de bonne compagnie qui ne se quitte !
Michel Sender.
[1] En bonne compagnie d’André Fraigneau, avant-propos de Dominique Villemot, Le Dilettante, Paris, mars 2009 ; 192 pages, 17 €. www.ledilettante.com