La double vie d'Oscar Wilde

Je vous ai déjà un peu parlé d’Oscar Wilde (1854-1900), par incises, aux débuts de ce blog. Aujourd’hui, il me faut absolument mentionner, dans la collection « Folio Biographies » que dirige Gérard de Cortanze chez Gallimard, l’Oscar Wilde [*] de Daniel Salvatore Schiffer, remarquable aide-mémoire et hommage à un grand écrivain.
La biographie d’un écrivain ne fait pas tout mais Daniel Salvatore Schiffer, philosophe et essayiste qui a travaillé récemment sur une Philosophie du dandysme aux PuF, retrace très bien l’itinéraire d’Oscar Wilde qu’il rapproche d’ailleurs de celui de Baudelaire ou de Verlaine...
Né en Irlande, à Dublin, Oscar Wilde fit d’excellentes études au Trinity College de cette ville, puis à Oxford, en Angleterre, où il fut l’élève de Walter Pater et John Ruskin qui formèrent son esthétisme très tôt tourné vers le monde grec ou l’Italie.
Jeune homme extrêmement doué, il se fit remarquer par des poèmes, des essais revendiquant l’art pour l’art et un choix de vie excentrique par son non-conformisme et sa recherche du luxe, de la préciosité et de l’élégance stylistiques.
Dans cet itinéraire particulier, il devait rencontrer, en poésie, le soutien en France de Stéphane Mallarmé, se rapprocher en peinture de l’expressionnisme des préraphaélites et de Gustave Moreau et assimiler pour lui (et pour son Dorian Gray) le décadentisme de Des Esseintes, le personnage du À rebours de Joris-Karl Huysmans...
Conférencier célèbre, personnalité londonienne et auteur à succès de pièces de théâtre spirituelles et drôles, Oscar Wilde va gâcher son talent et se mettre en danger par sa vie personnelle dispendieuse et scandaleuse pour l’époque.
Ayant épousé en 1884 Constance Lloyd, une jeune femme de la bourgeoisie anglaise dont il eut deux enfants et qui fut toujours d’une fidélité exemplaire, il ne cessa, malgré son amour sincère pour elle, de la tromper ouvertement avec de jeunes hommes qu’il amenait à la maison et de s’afficher en public avec eux...
Et ce fut sa liaison durable, en plus de nombreuses excursions dans les lieux pédérastiques de Londres, Paris ou d’Afrique du Nord (Gide, qu’il y croisa, était effrayé de son inconscience !), avec Lord Alfred Douglas, dit « Bosie », fils du marquis de Queensberry, qui provoqua sa chute...
Daniel Salvatore Schiffer rappelle avec précision et objectivité tout l’effroyable engrenage que fut le procès (qui se retourna contre lui) qu’intenta lui-même Oscar Wilde « pour diffamation » contre le père de Bosie et qui, finalement, le conduisit au désastre : deux années terribles d’emprisonnement, la faillite financière (tous ses biens furent vendus) et la déchéance personnelle (séparation forcée de sa femme et de ses enfants, qui changèrent de nom) qui s’en suivirent, avec l’exil et la misère, avant de mourir dans un petit hôtel parisien !
Les dernières années de la vie d’Oscar Wilde, qui nous valurent son grand poème de La Ballade de la geôle de Reading et son De profundis, furent littéralement une descente aux enfers, en firent un martyr et un poète maudit terminant son existence dans l’opprobre et l’alcoolisme...
Cette destinée-là (celle également d’un génie littéraire), malgré ses erreurs et ses errances personnelles évidentes, révolte et fait pleurer !
Michel Sender.
[*] Oscar Wilde de Daniel Salvatore Schiffer, collection « Folio Biographies », éditions Gallimard, Paris, mai 2009 ; 432 pages, 8,60 €.