Didier Daeninckx raconte Missak Manouchian
« Il ne prit pas le métro pour retourner vers la rue de l’Aqueduc, malgré la neige fondue qui tombait sur Paris. Louis Dragère avait foncé tête baissée dans cette aventure qui s’offrait, comme un jeune chien, grisé par ses conversations avec des personnalités qu’il n’aurait jamais pensé rencontrer… Aragon, Duclos… Il s’était gorgé d’une histoire de massacres, de résistance, d’exils, une histoire qu’il ignorait la veille encore, pour se découvrir désemparé, incapable de décider, au premier obstacle, où se cachait la vérité, lui dont le métier consistait à la dire. Tout cela n’avait aucun sens. »
Didier Daeninckx, aux éditions Perrin (l’ancienne Librairie Académique Perrin des livres d’André Castelot ou d’Alain Decaux), ça fait drôle !
Il faut dire qu’il a choisi une collection nouvelle (la collection « Singulier » où est déjà paru notamment le Max – sur Jean Moulin – de Michel Quint) et que, pour aborder, dans Missak [*], l’histoire de Missak Manouchian et de L’Affiche Rouge, il a écrit un roman policier totalement personnel, lui permettant d’éviter les pièges classiques du narrateur omniscient ou de l’histoire romancée.
Et son personnage de Louis Dragère, journaliste à L’Humanité dans les années 1950, enquêteur opiniâtre dont les convictions vont être lourdement mises à mal par ce qu’il va découvrir, en même temps intercesseur sincère et attachant, est du pur Daeninckx – et restera sans doute fortement dans la mémoire des lecteurs !
En effet, par ce procédé romanesque, Didier Daeninck nous plonge dans le Paris et sa banlieue de 1955, année d’inondation et de grande crue, année où va être inaugurée une rue du Groupe Manouchian dans le vingtième arrondissement de Paris et où Aragon écrit, en hommage, Les Strophes pour se souvenir :
Vous n’avez réclamé ni la gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans
Avant cette commémoration, le journaliste Louis Dragère (d’abord sur commande du Parti et ensuite, de fait, pour son propre compte) essaye de reconstituer l’histoire de Missak Manouchian (un jeune Arménien révolté et poète) et de son groupe en interrogeant les témoins survivants, en visitant les lieux, en lisant les publications de l’époque, etc.
Et, bien sûr, au fil de son enquête, il va tomber sur des vérités dérangeantes (le pacte germano-soviétique, les tractations pour une reparution officielle de L’Huma, le trotskysme de certains résistants...), rencontrer des militants héroïques (Charles Tillon, Henri Krasucki) et remonter le fil de la trahison, ni noir, ni rouge, ni blanc – plus complexe et plus banal que l’on pourrait croire…
Avec Missak, Didier Daeninckx nous donne un de ses grands livres, qui ne déparera pas avec Meurtres pour mémoire, Nazis dans le métro ou Itinéraire d’un salaud ordinaire ; un grand, un vrai roman, haletant et émouvant (pour changer, l’histoire d’authentiques héros, mais sans hagiographie), troublant…
Du grand Daeninckx !
Michel Sender.
[*] Missak de Didier Daeninckx, collection « Singulier », éditions Perrin, Paris, août 2009 ; 300 pages, 16,90 €. www.editions-perrin.fr
En juin, le recueil Histoire et faux-semblants (première parution chez Verdier en 2007) a été réédité dans la collection « Classiques & Contemporains » des éditions Magnard (interview exclusive et commentaires de Josiane Grinfas).
Jean Jaurès : Non à la guerre est annoncé pour septembre 2009 chez Actes Sud.