Le roman de Jeanne Rozerot et Emile Zola

Publié le par Michel Sender




« Alexandrine resta silencieuse lorsque Jeanne, blanche, la bouche sèche, mais d’une voix calme et posée, tenta de justifier sa résolution.

– Je dois quitter votre service, madame. Des raisons personnelles, ma famille qui me demande… J’en suis désolée. »


Pour raconter la vie de Jeanne Rozerot, Isabelle Delamotte, même si elle s’appuie sur une documentation extrêmement sérieuse, a choisi délibérément la voix romanesque, en se mettant à la place des personnages, en les faisant parler, en extrapolant parfois leurs pensées ou leurs sentiments, etc.


Une fois admis ce parti pris et entré dans ce style de biographie romancée, il faut reconnaître que Le Roman de Jeanne (À l’ombre de Zola) [*] d’Isabelle Delamotte est un livre passionnant qui met en lumière et fait mieux comprendre la personnalité de Jeanne Rozerot, une jeune femme entrée comme lingère au service des Zola en 1888 – et qui devint la maîtresse d’Émile Zola et la mère de ses enfants, Denise et Jacques.


Évelyne Bloch-Dano a raconté, dans Madame Zola (éditions Grasset, Paris, 1997), le drame personnel d’Alexandrine Zola, mère très jeune d’un enfant qu’elle avait dû abandonner mais qui n’eut pas d’enfant avec son mari, et qui découvrit, vers 1891, sa liaison avec son ancienne lingère et l’existence de ses enfants naturels…


On connaît publiquement (parues chez Gallimard) depuis 2004 les Lettres à Jeanne Rozerot (1892-1902) écrites par Émile Zola et l’on devine qu’il ne s’est pas agi d’une relation ancillaire « classique », même si Émile Zola, en bon petit-bourgeois, installa sa maîtresse dans un logement spécifique (où elle eut très vite ses propres employés) et ne quitta jamais son épouse officielle.


Il y a, dans ses stratégies pour voir régulièrement Jeanne et qu’elle le suive avec les enfants y compris dans ses villégiatures ou l’exil, des ressemblances très proches de celles de Victor Hugo vis-à-vis de Juliette Drouet, notamment dans les systèmes de signaux à distance... ainsi que dans l’amour très fort et authentique qui les unissait.


Cette passion amoureuse transforma littéralement les dernières années de la vie d’Émile Zola et inspira particulièrement Le Docteur Pascal, dernier volume des Rougon-Macquart. Et cette histoire, aujourd’hui, fait partie tout simplement de l’histoire littéraire (après la mort prématurée d’Émile Zola en 1902, sa femme Alexandrine fit tout pour obtenir la reconnaissance posthume de ses enfants).


Dans Le Roman de Jeanne, Isabelle Delamotte a su reconstituer tout cela, en faire ressentir la beauté et les souffrances induites, nous plonger avec émotion dans toute une époque marquante (très vite débute l’affaire Dreyfus qui va l’exposer dangereusement) de la vie du grand écrivain et de l’homme engagé qu’a été Émile Zola.


Michel Sender.


[*] Le Roman de Jeanne (À l’ombre de Zola) d’Isabelle Delamotte, éditions Belfond, Paris, février 2009 ; 348 pages, 19,50 euros.

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Evitons l'angélisme et profitons-en pour recadrer le personnage. Une certaine gauche friande d'écrivains dans son sens a voulu faire de Zola un révolutionnaire. On peut débattre longtemps de ses idées politiques et trouver dans son oeuvre les preuves de tout et son contraire, jusqu'à des passerelles entre le naturalisme et le nazisme. Sa vie privée, en tout cas, n'a jamais quitté les chemins tout tracés de son milieu, jusqu'aux amours ancillaires et à la famille-bis. Il n'était pas le seul à opérer ce "grand écart", le modèle du genre étant Karl Marx soi-même, faisant un enfant à la bonne et laissant Engels en endosser la réputation pour ne pas salir son image de "pur-esprit". Les "grands hommes" peuvent vivre impunément de telles contradictions parce que le public est comme eux, il accorde toujours plus de valeur aux maîtres qu'aux servantes. Un monde qui trouve normal d'aller se faire éponger au bordel ne trouve rien à redire au fait que certains s'épargnent le dérangement en ayant ce qu'il faut chez eux, il suffit d'en avoir les moyens.<br /> Quant-à ces récits pleins de bons sentiments, ils enjolivent la situation pour absoudre le maître ; il faut les prendre pour ce qu'ils sont : des superstructures idéologiques destinées à annihiler tout esprit de révolte.
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