Paul Léautaud "en haut des piles" (Philippe Delerm)

Cela ne fait aucun doute : sans avoir forcément pu ingurgiter les milliers de pages de son Journal littéraire, beaucoup de personnes ont été touchées par la lecture du Petit Ami, d’Amours, des extraits de son Journal ou des Lettres à Marie Dormoy de Paul Léautaud (1872-1956).
En lecteur manifestement fidèle et admiratif (« Proust et Léautaud sont mes deux écrivains, écrit-il. Je ne dirai pas mes écrivains préférés. Je n’ai pas eu à les choisir. Ils restent là, en haut des piles, à portée de main, et je ne les abandonne jamais plus de deux ou trois semaines »), Philippe Delerm a consacré un petit livre épatant, Maintenant, foutez-moi la paix ! [*] (il s’agirait de ses dernières paroles), à la mémoire de Paul Léautaud.
Et le pauvre Léautaud ne croyait pas si bien dire, lui qui, plus de cinquante ans après sa mort, suscite encore malgré lui interrogations et polémiques (notamment à l’occasion de souvenirs de Pierre Perret). On reparle aussi de Marie Dormoy (Philippe Delerm rappelle et souligne le rôle primordial qu’elle a joué dans l’édition du Journal et la méchanceté que pouvait avoir envers elle Léautaud lui-même) à propos de sa correspondance avec l’architecte Auguste Perret, dont elle fut également la maîtresse.
Il n’est pas facile de « cerner » Paul Léautaud tellement il fut souvent contradictoire. Autodidacte, employé prolétaire et mal payé du Mercure de France pendant plus de trente ans, il se considérait comme un aristocrate de l’esprit, méprisant les ouvriers et les syndicats, anarchiste droitier et antisémite à la posture célinienne.
Athée et réfractaire à toute compromission, il méprisait toutes les institutions (l’État ou l’armée) et vivait dans une solitude volontaire et misanthrope agrémentée seulement (c’est un peu une tarte à la crème, car, habitué des représentations théâtrales et du monde de l’édition, il rencontrait par ailleurs le Tout-Paris !) par la compagnie de ses chats et de ses chiens…
On garde de lui (à cause des nombreux reportages photographiques qui suivirent sa soudaine célébrité provoquée par de mémorables Entretiens avec Robert Mallet radiodiffusés en 1950) l’image d’un vieillard original et mal fagoté, mais ce fut surtout un grand écrivain au style authentiquement stendhalien, un égotiste notant méthodiquement et sans apprêt toutes ses dérélictions et ses enthousiasmes…
Dans son Maintenant, foutez-moi la paix !, Philippe Delerm a su intelligemment – avec justesse, discernement et une évidente connaissance approfondie de son œuvre – résumer tout cela, sans chichis et avec une grande économie de moyens.
C’est un très bel hommage, nullement hagiographique, qui permet de se faire sa propre opinion… ou de découvrir vraiment, par la lecture, la personnalité de Paul Léautaud !
Michel Sender.
[*] Maintenant, foutez-moi la paix ! de Philippe Delerm (première publication : Mercure de France, Paris, 2006), collection « Folio », éditions Gallimard, Paris, août 2009 ; 160 pages, catégorie F4b [4,30 €].
Dans la collection « Folio », reparaît également Son excellence, monsieur mon ami de Jérôme Garcin (première parution : éditions Gallimard, Paris, janvier 2008), un très bel hommage à François-Régis Bastide, l’homme, l’écrivain, le mélomane, etc. (Je n’ai lu que la première édition, mais, en général, Jérôme Garcin ajoute toujours une postface inédite aux rééditions « Folio » de ses livres.) www.folio-lesite.fr