Ce jour-là, Willy Ronis...
Un des charmes des livres de Didier Daeninckx est quand il inscrit ses admirations (ou ses détestations, mais ce serait un autre sujet) au sein d’un de ses romans ou de ses récits.
Ainsi, dès le début de Missak (je ne l’ai pas mentionné dans mon article du 26 août sur ce blog, « Didier Daeninckx raconte Missak Manouchian », car je voulais en laisser la surprise au lecteur), son dernier roman (sans doute un de ses plus personnels sur un grand sujet historique) paru chez Perrin, le photographe Willy Ronis se trouve aux côtés de Louis Dragère, journaliste à L’Humanité dans les années 1950…
Et cette « invention » demeure absolument plausible, tellement l’on sait combien Willy Ronis, photographe humaniste (on l’a beaucoup dit mais c’est absolument vrai) et aussi homme de culture, était engagé dans la vie et auprès des classes populaires.
Et, dans ce domaine, les deux albums réalisés avec Didier Daeninckx (Willy Ronis a inspiré également de nombreux autres écrivains) chez Hoëbeke, À nous la vie ! (1936-1958) en 1996 et Belleville Ménilmontant en 1999, restent des réussites incontournables et inoubliables !
La longévité (on vient d’annoncer sa mort hier à plus de 99 ans) et un esprit resté lucide, alerte et pertinent ont permis à Willy Ronis (1910-2009) de témoigner longuement et fréquemment, toujours avec simplicité et une grande intelligence, de son Art (la lumière et l’exemple des grands peintres occupaient toujours sa réflexion et son travail).
Ce matin, outre les extraordinaires volumes réalisés avec Didier Daeninckx, j’ai ressorti devant moi deux livres récents dus à l’intercession de Colette Fellous : Ce jour-là, initialement paru en 2006 dans la collection « Traits et portraits » du Mercure de France et réédité en « Folio »/Gallimard en octobre dernier, et Les Chats de Willy Ronis publié chez Flammarion en septembre 2007.
D’ailleurs, dans sa préface, Colette Fellous le relevait : « On croirait alors que tous les chats de Willy Ronis incarnent son propre regard. […] Les chats aiment les seuils, les fenêtres, les pierres plates, les tables de bois, l’ombre des feuilles, les marches fraîches d’un escalier : quand je m’ennuie, je change de marche, dit-il. Ils dessinent l’espace et deviennent ainsi les architectes du quotidien. Ils soulignent la délicatesse de chaque geste, de chaque moment. Ils nous donnent à voir. L’art du chat ressemblerait en cela à l’art du photographe. »
Mais, avec Ce jour-là (tous ses commentaires de ses photographies commencent par cette expression, en quelque sorte son Il était une fois d’enchanteur), Willy Ronis (à la manière aussi, d’une certaine façon, du Je me souviens de Georges Perec) a déroulé pour nous des instantanés de sa mémoire, des émotions fortes cachées sous l’anecdote – pour ne pas nous ennuyer.
Car, Willy Ronis, on le devine entre les images et les mots, n’avait rien d’un fâcheux ; il ignorait totalement le pontifiant, laissait souvent parler son cœur, la rêverie, l’imagination, la délicatesse…
Aujourd’hui, je crois qu’il n’aimerait pas qu’on soient tristes, parce qu’il aimait la vie et la regardait en face, du mineur silicosé au petit parisien de 1952, de la sieste à Gordes ou du chat dans la colline, des Amoureux du Pont des Arts au retour des prisonniers : « J’aime saisir ces brefs moments de hasard, où j’ai l’impression qu’il se passe quelque chose, sans savoir quoi précisément, et ce quelque chose me trouble beaucoup – à m’en souvenir, j’en ai encore aujourd’hui la gorge serrée –, mais je ne voudrais pas que cette émotion puisse déboucher sur le moindre malentendu. »
Nous aussi, ce jour-ci.
Michel Sender.