"Critique de la déraison pure" de Daniel Salvatore Schiffer
Il y a un peu plus de trois mois, l’ouvrage de Daniel Salvatore Schiffer, Critique de la déraison pure, programmé aux éditions Mille et une nuits, fut refusé par Olivier Nora, nouveau PDG des éditions Fayard mais également grand manitou chez Grasset, éditeur de Bernard-Henri Lévy. L’affaire fit un certain bruit (voir ce blog le 12 février 2010 : « Le livre "empêché" de Daniel Salvatore Schiffer ») et Critique de la déraison pure [*] paraît finalement ces jours-ci chez François Bourin.
À toute chose malheur est bon car ce livre, sous-titré La faillite intellectuelle des « nouveaux philosophes » et de leurs épigones, nous parvient après une relative mévente (malgré une importante campagne promotionnelle) des livres de Bernard-Henri Lévy publiés en février dernier et une certaine désaffection médiatique provoquée en partie par sa bourde hénaurme sur Jean-Baptiste Botul…
J’en veux pour preuve par exemple le dernier numéro du Nouvel Observateur, titré Le pouvoir intellectuel (en fait une franche publicité pour les trente ans de la revue Le Débat chez Gallimard) mais qui revient également sur le dernier livre de Michel Onfray et parle d’une « guerre BHL/Onfray ». « Bernard-Henri Lévy aurait-il trouvé son maître en marketing ? » se demandent méchamment (« Et Onfray détrôna BHL ») à trois David Caviglioli, Grégoire Leménager et Fabrice Pliskin, avant de diagnostiquer et de nous asséner un constat terrible : « Avec son pavé anti-Freud de 600 pages, Michel Onfray s’impose comme le premier intellectuel médiatique de France. » Ah bon ? Passons sur ces mauvaises raisons qui ressemblent fort à un croche-patte ou au coup de pied de l’âne !
En fait, le gros souci avec la « nouvelle philosophie » – et Daniel Salvatore Schiffer en semble bien conscient qui cible essentiellement ses critiques sur les ouvrages philosophiques de Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann –, c’est qu’il s’est agi essentiellement d’un excellent montage médiatique autour des livres (La Cuisinière et le mangeur d’hommes, La Barbarie à visage humain et Les Maîtres penseurs) où ces deux auteurs, anciens maoïstes, découvraient le Goulag et en théorisaient le déclin du communisme…
Cependant, leurs positions philosophiques sont difficiles à distinguer de leurs engagements politiques publics divers et variés qui ont fait d’ailleurs que la « nouvelle philosophie » a très vite éclaté en tant que groupe artificiel pour ne laisser la place qu’aux manifestations individuelles de ses protagonistes, parfois proches sur des sujets brûlants d’actualité.
Il reste ainsi toujours difficile de faire la part des choses sur les positionnements successifs concernant le conflit israélo-palestinien, les guerres de l’ex-Yougoslavie, les suites du 11-septembre, etc., et leurs ouvrages philosophiques respectifs.
Dans Critique de la déraison pure, Daniel Salvatore Schiffer, après bien d’autres, s’y essaye et développe essentiellement (je résume) ses désaccords avec Bernard-Henri Lévy sur l’inconsistance de ses analyses philosophiques sur Nietzsche et Camus ou Jean-Paul Sartre et Emmanuel Levinas, sur le rôle des intellectuels et de l’engagement, sur les erreurs de ses enquêtes sur la Bosnie ou l’Afghanistan et le journaliste Daniel Pearl, sur ses postures ineptes jusqu’à la bourde botulienne…
Le débat est important en ce qu’il recoupe des préoccupations éthiques que l’on pourrait croire non conjoncturelles et universelles – mais qui malheureusement se révèlent le plus souvent marquées du sceau des idéologies !
Michel Sender.
[*] Critique de la déraison pure (La faillite intellectuelle des « nouveaux philosophes » et de leurs épigones) de Daniel Salvatore Schiffer, éditions François Bourin, Paris, mai 2010 ; 368 pages, 22 €. www.bourin-editeur.fr