"Le Spleen de Paris" de Charles Baudelaire
LE PORT
Un port est un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie. L’ampleur du ciel, l’architecture mobile des nuages, les colorations changeantes de la mer, le scintillement des phares, sont un prisme merveilleusement propre à amuser les yeux sans jamais les lasser. Les formes élancées des navires, au gréement compliqué, auxquels la houle imprime des oscillations harmonieuses, servent à entretenir dans l’âme le goût du rhythme et de la beauté. Et puis, surtout, il y a une sorte de plaisir mystérieux et aristocratique pour celui qui n’a plus ni curiosité ni ambition, à contempler, couché dans le belvédère ou accoudé sur le môle, tous ces mouvements de ceux qui partent et de ceux qui reviennent, de ceux qui ont encore la force de vouloir, le désir de voyager ou de s’enrichir.
Charles Baudelaire (1821-1867)
(Petits Poëmes en prose, XLI,
Michel Lévy, Paris, 1869)
On sait que les poèmes en prose (dispersés dans les journaux de l’époque) de Charles Baudelaire furent regroupés en 1869 (deux ans après sa mort) dans le tome IV (comprenant également Les Paradis artificiels et La Fanfarlo) de ses Œuvres complètes réalisées par Charles Asselineau et Théodore de Banville chez Michel Lévy.
D’après des notes manuscrites du poète où Charles Baudelaire lui-même évoquait Le Spleen de Paris, ce recueil porte depuis également ce titre [*] mais sa composition n’a guère changé (lettre-dédicace à Arsène Houssaye, premier éditeur de vingt Petits Poëmes en prose dans La Presse en 1862, suivie de cinquante poèmes) : seul l’Épilogue en vers est remis en cause par certains éditeurs qui parfois le rattachent aux Fleurs du Mal.
Le Spleen de Paris, curieusement, ne fait son entrée que cette année (il en porte le numéro 5079) dans la collection « Folio » des éditions Gallimard et, hormis quelques pages d’une Notice biographique et chronologique, il n’est accompagné d’aucun appareil critique.
Je ne sais pas s’il s’agit d’une nouvelle politique éditoriale de cette collection – mais c’est assez surprenant !
Michel Sender.
[*] Le Spleen de Paris (Petits Poèmes en prose) de Charles Baudelaire, collection « Folio », éditions Gallimard, Paris, juin 2010 ; 192 pages, catégorie F3b [3,50 €]. (Une édition critique du Spleen de Paris est disponible en « Poésie/Gallimard ».)