Léon Tolstoï par Michel Aucouturier
« Je redoute la mort de Tolstoï. S’il mourait, il y aurait un grand vide dans ma vie. Premièrement, parce que je n’ai jamais aimé personne comme lui ; je suis un incroyant, mais de toutes les formes de foi, je considère la sienne comme celle qui m’est la plus proche et me convient le mieux. Deuxièmement, lorsque dans la littérature il y a Tolstoï, il est facile et agréable d’être un littérateur ; même si on a conscience de n’avoir rien fait et de ne rien faire, ça ne fait pas si peur, parce que Tolstoï travaille pour tout le monde. Son activité sert à la justification des attentes et des espérances que l’on met dans la littérature. Troisièmement, Tolstoï est solide sur ses jambes, son autorité est immense et, tant qu’il est en vie, les mauvais goûts en littérature, toutes les formes de la vulgarité, impudente et larmoyante, tous les amours-propres rugueux, irrités, resteront au loin et enfouis dans l’ombre. »
Cet extrait d’une lettre d’Anton Tchekhov au critique Mikhaïl Menchikov le 28 janvier 1900 est extraordinaire en ce qu’elle montre l’importance qu’a eu Léon Tolstoï dans la vie russe et auprès des autres écrivains. De son côté, Romain Rolland parlera, dans sa Vie de Tolstoï parue en 1911, du « seul ami véritable dans tout l’art européen ». (On pourrait citer également Stefan Zweig…)
C’est d’ailleurs à Romain Rolland que fait manifestement référence Michel Aucouturier en sous-titrant son ouvrage sur Léon Tolstoï qui paraît dans la collection « Découvertes » chez Gallimard « La grande âme de la Russie » [*].
Car, ça y est, nous sommes en plein centième anniversaire de la mort de Léon Tolstoï (1828-1910) et la rentrée de septembre nous a valu deux traductions françaises simultanées du À qui la faute ? de Sophie Tolstoï accompagné de La Sonate à Kreutzer de Léon Tolstoï [**].
Les éditions Christian Bourgois ont réédité l’excellent La Fuite de Tolstoï d’Alberto Cavallari et le remarquable Une année dans la vie de Tolstoï de Jay Parini [***] reparaît dans la collection « Points » ainsi qu’une version « allégée », en un seul volume, de La Guerre et la Paix. (Je ne mentionne que quelques titres parmi ceux que je connais.)
L’intérêt du petit livre (comme toujours dans la collection « Découvertes »/Gallimard) de Michel Aucouturier (qui est déjà l’auteur du Tolstoï de la collection « Microcosmes-Écrivains de toujours » des éditions du Seuil) est l’alliance du rappel des grandes périodes de la vie de Léon Tolstoï avec de splendides illustrations et des « témoignages et documents » fort bien choisis…
Cela donne un résultat formidable d’intelligence et de concision sur une destinée d’exception et multiforme qui a fait – et qui fera encore – couler beaucoup d’encre !
Michel Sender.
[*] Léon Tolstoï – « La grande âme de la Russie » de Michel Aucouturier, collection « Découvertes », éditions Gallimard, Paris, septembre 2010 ; 128 pages, catégorie 5 [14 €].
[**] Michel Aucouturier a préfacé le volume des éditions des Syrtes, la deuxième publication étant parue chez Albin Michel. (Michel Aucouturier vient d’annoter également, au Livre de Poche, une nouvelle édition de La Guerre et la Paix en deux tomes, dans la traduction d’Élisabeth Guertik.)
[***] Voir ce blog le 28 juillet 2009. (J’ai parlé d’Enfance le 25 octobre 2009.)