Une histoire inédite de Stefan Zweig


Voici en français, inédite dans notre langue, un an après Le Voyage dans le passé, la traduction, toujours par Baptiste Touverey et en édition bilingue chez Grasset, d’une nouvelle inconnue de Stefan Zweig (1881-1942), Un soupçon légitime [*], dont le titre allemand, War er es ? (littéralement : « Était-ce lui ? »), en forme d’interrogation, n’était pas évident à transcrire.
Il n’est pas non plus toujours facile au lecteur non germaniste de se retrouver dans l’édition française des livres de Stefan Zweig car cette nouvelle, War er es ?, posthume et inédite en Allemagne, est parue en 1987 chez Fischer Verlag dans un volume des Œuvres complètes de Zweig, réalisé par Knut Beck, regroupant par exemple Brûlant Secret (Brennendes Geheimnis) ou Printemps au Prater (Praterfrühling), nouvelles disponibles chez nous dans des recueils différents.
War er es ?, qui faisait partie des papiers « brésiliens » retrouvés après son suicide, avait d’ailleurs été traduite au Brésil dès 1942 avec Schachnovelle (Le Joueur d’échecs) et Die spät bezahlte Schuld (La Dette, dans le recueil français Wondrak).
Un soupçon légitime, qui se situe en Angleterre et dont on pense qu’elle a été écrite à partir de 1939 pendant son exil anglais, est donc bien une composition originale de Stefan Zweig qui avait échappé jusqu’à présent à toute publication française – ce qui constitue, indéniablement, un événement éditorial dans notre pays !
Autre surprise : si Un soupçon légitime n’est pas vraiment une histoire policière, on peut lui trouver en revanche une tonalité hitchcockienne.
Car tout commence très banalement, deux couples qui vivent tranquillement côte à côte dans deux maisons de la campagne anglaise, qui se fréquentent en voisins et s’observent rituellement.
La narratrice est la femme du couple le plus âgé et elle s’emploie méthodiquement à décrire les Limpley et la grande solitude de Mrs. Limpley dont le mari, très survolté, reste absent une grande partie de la journée.
Les Limpley n’ont pas d’enfant et leurs voisins croient bien faire en leur offrant un jeune bulldog, baptisé Ponto, qui, très vite, prend toute la place dans leur maison et s’attache tyranniquement, encouragé par lui, essentiellement à Mr. Limpley…
Et le drame va venir de là, avec la grossesse de Mrs. Limpley et l’arrivée tant attendue d’un bébé, le chien se retrouvant petit à petit ignoré, maintenu à part, oublié…
La narratrice note tout cela de loin et prête au chien, dans un anthropomorphisme évident, des réactions et des sentiments d’une personne – humaine, trop humaine !
Je ne peux pas vous en raconter beaucoup plus, sinon que Stefan Zweig laisse monter progressivement la tension psychologique et déploie, notamment dans la description de l’animal humilié, toutes les subtilités de sa science de l’analyse des comportements, dans une œuvre finalement troublante, inattendue et singulière !
Michel Sender.
[*] Un soupçon légitime (War er es ?) de Stefan Zweig, traduction de Baptiste Touverey suivie du texte allemand original, éditions Bernard Grasset, Paris, octobre 2009 ; 154 pages, 10 €.