Jean Racine et Port-Royal

Publié le par Michel Sender

Jean Racine et Port-Royal

« L'Abbaye de Port Royal près de Chevreuse, est une des plus ancienes Abbayes de l'Ordre de Cîteaux. Elle fut fondée en l'année 1204, par un saint Evêque de Paris, nommé Eudes de Suilly, de la Maison des Comtes de Champagne, proche parent de Philippe Auguste. C'est lui dont on voit la tombe en cuivre élevée de deux pieds à l'entrée du Chœur de Notre-Dame de Paris. La fondation n'étoit que pour douze Religieuses ; ainsi ce Monastere ne possédoit pas de fort grands biens. Ses principaux bienfaicteurs furent les Seigneurs de Montmorency et les Comtes de Montfort. Ils lui firent successivement plusieurs donations, dont les plus considérables ont été confirmées par le Roi Saint Louis, qui donna aux Religieuses sur son Domaine une rente en forme d'aumône, dont elles jouissent encore aujourd'hui : si- bien qu'elles reconnoissent avec raison ce saint Roi pour un de leurs Fondateurs. Le Pape Honoré III accorda à cette Abbaye de grands privileges, comme entre autres, celui d'y célébrer l'Office divin quand même tout le pays seroit en interdit. Il permettoit aussi aux Religieuses de donner retraite à des Seculieres qui étant dégoutées du monde, et pouvant disposer de leurs personnes, voudroient se réfugier dans leur Couvent pour y faire pénitence, sans néanmoins se lier par des vœux. Cette Bulle est de l'année 1223, un peu après le quatriéme Concile général de Latran. » [*]

 

« Le caractère, dit Novalis, c’est la destinée. Il était inscrit dans le caractère de ce garçon trop sensible, de ce Racine railleur, inquiet, jaloux, voluptueux, qu’il n’échapperait à Dieu que pour lui revenir » estimait François Mauriac dans sa Vie de Jean Racine [**] où il parlait d’ailleurs autant de lui-même que de son sujet, qu’il avait placé sous une citation des Lettres de Pline le Jeune : Vita hominum altos recessus magnasque latebras habet (« L’existence a de profonds secrets et d’immenses mystères »).

Il est un fait que Jean Racine (1639-1699), orphelin très jeune, passa une partie de sa jeunesse à l’abbaye de Port-Royal, y connut l’enseignement des maîtres du jansénisme, s’en sépara violemment en 1666 à l’occasion de la querelle des Hérésies imaginaires où il défendit le droit à l’imagination, au roman et au théâtre, puis, à bas bruit, à partir de 1677, où il cessa d’écrire des tragédies pour devenir historiographe du roi, se rapprocher définitivement de Port-Royal au point de demander par testament d’y être enterré.

Il écrivit en secret (« Le naïf croyait-il que la police de Louis XIV ignorait cette Histoire de Port-Royal à laquelle il consacrait les loisirs que lui laissait l’histoire du roi ? » relève cependant François Mauriac) un Abrégé de l’histoire de Port-Royal, inachevé, dont il remit le manuscrit, deux jours avant sa mort, à Denis Dodart devant son fils Jean-Baptiste. Cet ouvrage, parfois annoté par Boileau, nous est parvenu en deux phases, toutes posthumes : une première partie, en 1742, « à Cologne, aux dépens de la Compagnie », puis, en 1767, une seconde partie reprenant la première et imprimée soi-disant à Vienne, qui en constitue l’édition entière.

Les religieuses avaient été expulsées de Port-Royal-des-Champs en 1709 et l’abbaye détruite en 1711, littéralement rayée de la carte, la dépouille de Jean Racine transportée en l’église de Saint-Étienne-du-Mont à Paris, aux côtés de Blaise Pascal.

Aujourd’hui, il nous est difficile de nous retrouver dans les débats scholastiques et religieux du XVIIe siècle, des affrontements entre jésuites et jansénistes, sur l’augustinisme et la grâce divine, sur la charge morale des Provinciales de Pascal…

Les solitaires de Port-Royal et les théoriciens de la foi (Jansenius, Saint-Cyran, Antoine Arnauld, Pierre Nicole) nous apparaissent comme des sectateurs d’un dogme plutôt austère, mais, en face, leurs ennemis, l’Église officielle, le Pape et Louis XIV, se comportent envers eux comme des persécuteurs qui séparent arbitrairement et pourchassent les religieuses, qui veulent les forcer à se renier publiquement, qui ferment leurs lieux de recueillement, qui interdisent et condamnent, qui, en un mot — martyrisent.

Au point que Jean Racine, un courtisan pas très courageux, une personnalité du régime et un serviteur de l’État, va malgré tout s’engager (ne pas oublier ses liens familiaux avec les sœurs du monastère) dans la défense de Port-Royal, par des interventions ou la rédaction d’un Mémoire pour les Religieuses de Port Royal des Champs et, durant ses dernières années, l’écriture de cet Abrégé apologétique,  ouvrage historique et documenté où il utilise toute sa science du langage et des périodes classiques.

Sainte-Beuve, au XIXe siècle, consacra une somme monumentale à Port-Royal, mais finalement, le sobre Abrégé de l’histoire de Port-Royal de Jean Racine, « le plus parfait morceau d’histoire que nous ayons dans notre langue » d’après Boileau, nous convient mieux.

 

Michel Sender.

 

[*] Abrégé de l’histoire de Port-Royal de Jean Racine, texte établi et présenté par Gonzague Truc, « Les Textes Français », Société Les Belles Lettres, Paris, 1933 ; XIV + 226 pages, 21 fr.

Jean Racine et Port-Royal

[**] La Vie de Jean Racine [Plon, 1928] de François Mauriac, collection « Toute l’Histoire », Librairie Ernest Flammarion, Paris, 1939 ; 160 pages (+ illustrations photographiques non paginées), 7 Fr. 50.

Publié dans Littérature

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