"La Désespérance" de José Donoso

Publié le par Michel Sender

"La Désespérance" de José Donoso

« Mañungo Vera se demandait si c’était pour entendre les rugissements de Carlitos, le lion du zoo, que Pablo Neruda avait décidé d’habiter sur le versant sud de la colline San Cristobal. Cette façon de choisir sa résidence était bien dans sa manière ; c’était la réalisation de quelque rêve d’enfant, un de ces rêves qui dans un grand élan poétique animaient tant de ses actes quotidiens. Dans le taxi qui le conduisait à la maison où le poète avait vécu, Mañungo ne parvenait pas à se défaire de cette idée, et la tristesse de la présente circonstance faisait revivre en sa mémoire les soirées d’autrefois, dans le petit salon de l’ambassade, à Paris, lorsqu’il l’écoutait régler les subtilités du projet d’édition de son œuvre dans la Pléiade, dont son traducteur discutait avec Celedonio Villanueva. » [*]

 

À ma connaissance, Pablo Neruda n’est toujours pas dans « La Pléiade » mais, cinquante ans après le coup d’État militaire du général Pinochet et la mort de Salvador Allende au Chili, repenser au roman La Désespérance de José Donoso me semble logique.

José Donoso (1924-1996), grand écrivain chilien, n’était pas présent au Chili en 1973. Il n’y est retourné que dans les années quatre-vingt, ce dont témoigne La Désespérance, roman situé en 1985, lors de la veillée mortuaire puis de l’enterrement de Matilde Urrutia, la dernière épouse de Pablo Neruda.

Pour ce livre, José Donoso (j’ai pensé à l’Ulysse de Joyce) a choisi la durée classique de vingt-quatre heures, en trois parties (le crépuscule, la nuit, le matin), dans Santiago encore sous couvre-feu militaire, façon d’évoquer la réalité politique chilienne et des destins individuels, avec des flash-backs, des allers-retours de l’exil : un roman-monde, universel ; distancié cependant, entre fiction et réalité. Une œuvre peu connue en France…

Se souvenir du 11 septembre 1973 au Chili n’est pas du tout un anniversaire joyeux, bien au contraire, mais s’en souvenir c’est rendre hommage aux nombreuses victimes de la dictature et surtout espérer que cela ne se reproduise pas, une espérance sans doute inatteignable.

Depuis le 11 septembre 2001, l’attentat sur les tours du World Trade Center à New York (un autre choc incommensurable), la date du 11 septembre a changé de référence et de contexte.

Pour beaucoup, elle n’évoque plus Santiago du Chili, le bombardement du Palais de la Moneda, la mort du président Salvador Allende, la terrible répression, la torture, les meurtres, les arrestations et les « disparitions » dans tout le pays…

Pourtant, pour ma génération, le 11 septembre symbolise encore le combat pour la démocratie, la défense du rêve peut-être illusoire de l’Unité populaire et des années de solidarité avec des camarades, des amis, pour le retour à la liberté, toujours menacée, jamais acquise.

Oui : El pueblo, unido, jamás será vencido !

 

Michel Sender.

 

[*] La Désespérance (La Desesperanza, Seix Barral, 1986) de José Donoso, roman, traduit de l’espagnol (Chili) par Jean-Marie Saint-Lu, collection « Les romans étrangers », Presses de la Renaissance, Paris, novembre 1987 ; 392 pages, 140 F. [La collection « Les romans étrangers », dirigée par Tony Cartano aux Presses de la Renaissance, était remarquable.]

"La Désespérance" de José Donoso

Pour ne pas rester sur une note funèbre, citons bien sûr le formidable Les Jours de l’arc-en-ciel (Los días del arcoíris, 2011) d'Antonio Skármeta, l’incroyable histoire du référendum de 1988 (traduit par Alice Seelow chez Grasset en 2013 ; réédité en Points).

Publié dans Littérature

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