"La Promesse de l'aube" de Romain Gary
« C'est fini. La plage de Big Sur est vide, et je demeure couché sur le sable, à l'endroit même où je suis tombé. La brume marine adoucit les choses ; à l'horizon, pas un mât ; sur un rocher, devant moi, des milliers d'oiseaux ; sur un autre, une famille de phoques : le père émerge inlassablement des flots, un poisson dans la gueule, luisant et dévoué. Les hirondelles de mer atterrissent parfois si près, que je retiens mon souffle et que mon vieux besoin s'éveille et remue en moi : encore un peu, et elles vont se poser sur mon visage, se blottir dans mon cou et dans mes bras, me recouvrir tout entier... À quarante-quatre ans, j'en suis encore à rêver de quelque tendresse essentielle. Il y a si longtemps que je suis étendu sans bouger sur la plage que les pélicans et les cormorans ont fini par former un cercle autour de moi et, tout à l'heure, un phoque s'est laissé porter par les vagues jusqu'à mes pieds. Il est resté là, un long moment, à me regarder, dressé sur ses nageoires, et puis il est retourné à l'Océan. Je lui ai souri, mais il est resté là, grave et un peu triste, comme s'il savait. » [*]
Écrit sans doute à partir de 1958 (tout au long du livre, Romain Gary, né en 1914, dit qu’il a quarante-quatre ans), La Promesse de l’aube frappe par son écriture magistrale et la faculté de l’auteur à raconter des histoires et à brosser des portraits de façon extrêmement vivante.
C’est aussi une ode à l’amour maternel (« Avec l'amour maternel, la vie vous fait à l'aube une promesse qu'elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu'à la fin de ses jours ») et plus précisément à sa mère (« Oui, ma mère avait du talent — et je ne m'en suis jamais remis »).
Un témoignage d’amour fou pour l’image maternelle, également empreint d’une dérision absolue (mélange de fières velléités et de fréquentes déconvenues) de Romain Gary envers lui-même.
Cependant, ayant vécu à Vilnius en Lituanie (son lieu de naissance), puis en Pologne à Varsovie, avant de se réfugier à Nice vers 1928, l’enfant se retrouve seul avec sa mère et partage tout avec elle, les vicissitudes de l’existence ainsi que les réussites.
Car sa mère toujours se débrouille pour faire bouillir la marmite. Elle vend des chapeaux ou des bijoux dans les grands hôtels de la ville, jusqu’à finalement prendre la gérance d’une pension de famille (la Pension Mermonts), tandis que son fils entame des études de droit à Aix-en-Provence puis les poursuit à Paris, en écrivant ses premières nouvelles.
Pour Romain, c’est aussi l’époque des premières amours, suivies par des préparations militaires, le service national et la drôle de guerre, dont il sortira meurtri à cause des discriminations, mais avec une volonté incommensurable de se battre.
En cela, il se sait encouragé par sa mère, qui rêve et imagine pour lui les plus grands honneurs (« — Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele d’Annunzio, Ambassadeur de France… » lui serinait-elle dans son enfance) et, tel Fabrice del Dongo à Waterloo, décide de s’engager pour la France libre.
C’est un choix que peu de ses camarades feront, qui l’emmènera dans de multiples difficultés peu glorieuses en Afrique, pour enfin rejoindre la Grande-Bretagne et le général de Gaulle jusqu’à la Libération…
Même si l’on devine que Romain Gary a fortement sélectionné ses souvenirs (il ne parle pratiquement pas de son père ni de sa famille) et même imaginé certains faits (par exemple les centaines de lettres écrites par sa mère), il ressort de La Promesse de l’aube un fort sentiment autobiographique et une ferveur morale authentique qui nous bouleverse.
Michel Sender.
[*] La Promesse de l’aube, récit, de Romain Gary, éditions Gallimard, Paris, 1960 ; 380 pages (réimpression d’avril 1972 ; jaquette illustrée d’une photo du film de Jules Dassin, avec Melina Mercouri et Didier Haudepin.)
La mention « récit » ne figure que sur la couverture « blanche ».