Le chapitre 22 de "La Promesse de l'aube"
« M. Zaremba était un Polonais de belle prestance, enclin à la mélancolie, qui parlait peu et dont le regard paraissait interroger le monde avec une expression de léger reproche, comme pour lui demander : « Pourquoi m'as-tu fait ça ? » II descendit un beau jour du taxi devant l'hôtel, avec sa moustache blonde déjà touchée de gris qui pendait à l'ancienne, vêtu de blanc colonial, coiffé d'un panama crème et armé de nombreuses valises couvertes d'étiquettes que je contemplai longuement : Calcutta, Malacca, Singapour, Surabaya… Voilà qui témoignait enfin d'une manière pour ainsi dire matérielle et irréfutable de la réalité des pays de rêve dont je n'avais recueilli jusque-là d'autres preuves d'existence que ce que voulaient bien m'en dire Somerset Maugham et De Vere Stackpoole dans leurs romans. M. Zaremba prit une chambre pour « quelques jours », et resta un an. » [*]
J’étais très content de lire (plutôt de relire me semble-t-il) La Promesse de l’aube de Romain Gary dans une édition Gallimard à la typographie aérée et très agréable, dans un volume en outre agrémenté d’une jaquette bleue illustrée d’une photo du film de Jules Dassin (voir ce blog précédemment), quand un scrupule habituel chez moi m’a fait consulter une autre édition (dont la mention « Édition définitive » m’intriguait).
Je n’ai pas effectué un relevé minutieux des éventuelles variantes mais, assez vite, une différence notable m’est apparue : l’« édition définitive » (datée de 1980, année de la mort de Romain Gary) comporte quarante-deux chapitres au lieu de quarante et un.
Y figure dorénavant un chapitre 22 évoquant, uniquement dans ce chapitre et dans aucun autre, la personnalité d’un monsieur Zaremba, Polonais de passage à Nice, pensionnaire pendant un an de l’hôtel Mermonts que dirigeait la mère de Romain Gary.
Manifestement M. Zaremba voudrait épouser la mère de Romain et, pour cela, il fait tout pour séduire… le fils !
Au point que l’on en ressent un malaise diffus — jusqu’au refus, clair et net, de la mère, et la fuite de l’intrus…
Ce chapitre, sans aucun doute écrit à l’époque, a cependant été retiré par l’auteur de l’édition française originale de 1960, et ce pendant vingt ans, jusqu’à l’édition dite « définitive » de 1980.
Le plus drôle est que, en revanche, ce chapitre figure dès 1961 dans l’édition américaine chez Harper and Brothers de Promise at Dawn (officiellement traduite par John Markham Beach, mais en réalité par Romain Gary lui-même) puis dans l’édition anglaise chez Michael Joseph l’année suivante.
Michel Sender.
[*] La Promesse de l’aube de Romain Gary [éditions Gallimard, 1960 ; édition définitive, 1980], éditions France Loisirs, Paris, octobre 2017 ; 516 pages (impression de février 2020). [Chapitre 22, pp. 231-256. L’ancien chapitre XXII de l’édition originale française (« Je m'inscrivis à la Faculté de Droit d'Aix-en-Provence, et quittai Nice en octobre 1933. ») est devenu le vingt-troisième du livre qui en comporte désormais quarante-deux au lieu de quarante et un.]
Vient d’être réédité, en collection « Folio 3 € » (il était précédemment en « Folio 2 € », ce qui fait un bon pourcentage d’augmentation !), Les Trésors de la mer Rouge [Gallimard, 1971], un petit volume (de 128 pages) où, à la suite d’Henry de Monfreid et de Joseph Kessel, Romain Gary exerçait tous ses talents de conteur.