"Le Consentement" de Vanessa Springora
« Les contes pour enfants sont source de sagesse. Sinon pour quelle raison traverseraient-ils les époques ? Cendrillon s’efforcera de quitter le bal avant minuit ; le Petit Chaperon rouge se méfiera du loup et de sa voix enjôleuse ; la Belle au bois dormant se gardera d’approcher son doigt de ce fuseau à l’attrait irrésistible ; Blanche-Neige se tiendra éloignée des chasseurs et sous aucun prétexte ne mordra la pomme, si rouge, si appétissante, que le destin lui tend…
Autant d’avertissements que toute jeune personne ferait bien de suivre à la lettre. » [*]
J’avoue ne pas avoir lu Le Consentement de Vanessa Springora dès sa sortie : une vieille habitude de ne pas acheter immédiatement un livre dont on parle beaucoup, d’attendre la publication en « poche » ou une opportunité de « seconde main » (voir ce blog le 4 septembre 2019).
Non pas que le sort de Gabriel Matzneff m’intéressât beaucoup : je n’ai aucun souvenir de ses livres sinon un roman, au Livre de Poche (Nous n’irons plus au Luxembourg ?) dont je ne me souviens presque plus et que je n’ai plus, évoquant me semble-t-il la maladie et les derniers jours de Montherlant.
J’avais été sous le choc de la biographie de Pierre Sipriot, Montherlant sans masque (toujours au Livre de Poche) puis d’un petit ouvrage, Moustique, ne donnant pas envie d’en connaître plus sur son auteur (dont on nous vantait La Reine morte) et surtout pas du cycle des Jeunes Filles.
Quant à G. M., il était très présent dans toute la presse littéraire et apparaissait plutôt comme un diariste, défendu par Philippe Sollers et Le Monde des Livres. Mais la publication des journaux d’écrivains (André Gide ou Julien Green) ne m’a jamais tant intéressé que ça, à part, peut-être, ceux de Stendhal…
Bref, j’avais suivi la sortie du Consentement de Vanessa Springora de très loin, avec la vague crainte d’un retour de l’ordre moral et de la censure d’un écrivain par ailleurs pour moi pas plus important que Jean-Edern Hallier ou Marc-Édouard Nabe.
Or, à la lecture du Consentement de Vanessa Springora, aucune de ces craintes n’est fondée !
Le Consentement est un témoignage remarquable, sensible et sincère, féministe, ne revendiquant aucune pruderie, et au contraire disant tout, avec le recul de l’âge, sur sa première relation, toxique, avec un homme prédateur.
On y retrouve tous les phénomènes aujourd’hui bien connus d’emprise, mais ici sans contrainte, avec douceur, et entraînant un isolement social indéniable, avec les contradictions des adultes perdus dans leurs propres histoires.
Et, en effet, le sujet de Vanessa Springora est bien celui du consentement d’une jeune fille confrontée à l’amour d’un homme plus âgé, usant d’une autorité intellectuelle certaine, même si elle s’appuie sur de fausses valeurs de virilité antique, d’un pygmalionisme pédophile et mensonger.
Le Consentement de Vanessa Springora touche par sa vérité évidente. Il fait mal par toutes les étapes d’une déception annoncée, d’un effondrement psychique, mais aussi accompagné d’une « déprise », d’une libération malgré l’empreinte : « Prendre le chasseur à son propre piège, l’enfermer dans un livre. »
Car les livres ne sont pas innocents, ils ont une responsabilité. Vanessa Springora nous le rappelle. La littérature n’est pas un jeu : derrière les lignes, il y a des personnes, de la chair, de la vie. Les exploiter sans principe peut se retourner contre soi.
Le Consentement de Vanessa Springora permet d’en (re)prendre conscience.
Michel Sender.
[*] Le Consentement de Vanessa Springora [Grasset, 2020], Le Livre de Poche, Librairie Générale Française, Paris, janvier 2021 ; 216 pages, 7,40 €.
Un film, Le Consentement de Vanessa Filho, avec Kim Higelin, Jean-Paul Rouve et Laetitia Casta est annoncé pour le 11 octobre 2023. Dans la bande-annonce, Jean-Paul Rouve est glaçant.