Ne pas oublier Michel del Castillo

Publié le par Michel Sender

Ne pas oublier Michel del Castillo

« Tout avait commencé par un coup de canon. C’était la guerre en Espagne. Mais Tanguy ne gardait de ces années que quelques souvenirs confus. Il se rappelait avoir vu de longues queues immobiles devant les boutiques, des maisons décharnées et noircies par la fumée, des cadavres dans les rues, des miliciennes fusil à l’épaule qui arrêtaient les passants pour leur demander leurs papiers ; il se souvenait d’avoir dû se coucher sans rien avoir mangé, d’avoir été réveillé par le triste hululement des sirènes, d’avoir pleuré de peur en entendant les « miliciens » frapper à la porte aux premières heures du matin…

Le soir, il écoutait sa mère qui parlait à la radio. Elle disait que « le bonheur qui prive autrui de son propre bonheur est un bonheur injuste », et il la croyait, car elle ne mentait jamais. Il pleurait souvent en l’entendant. Il ne comprenait pas ce qu’elle disait, mais il savait qu’elle avait raison, car elle était sa mère.

Il allait souvent aussi au Retiro. Il s’y rendait avec sa nurse. Il lui fallait s’arrêter dans les rues et lever le poing au passage des enterrements. » [*]

 

Il y a quelques jours, après avoir revu le film Mourir d’aimer d’André Cayatte sur Arte (disponible sur arte.tv jusqu’au 6 février 2025), j’ai cherché dans ma bibliothèque (sans le retrouver) Les Écrous de la haine, le livre que Michel del Castillo avait consacré à Gabrielle Russier.

Et, ce matin, à l’annonce de sa mort, très ému, je me prends à feuilleter quelques-uns des romans que j’ai pu conserver de lui, des années 1970-1980, chez Julliard puis aux éditions du Seuil : Le Vent de la nuit (1972), Le Silence des pierres (1975), Les Cyprès meurent en Italie (1979) ou La Nuit du Décret (1981).

Mais j’en reviens toujours à son premier roman, aux multiples éditions, puis réédité en 1995 chez Gallimard (je n’ai pas consulté cette « nouvelle édition revue et corrigée »), Tanguy, qui restera, à n’en pas douter, dans l’histoire littéraire…

« Je n’aime pas l’Espagne. Je déteste les Espagnols. » Ainsi commençait un autre des romans de Michel del Castillo, Le Crime des pères (Le Seuil, 1993 ; réédition « Points », 1996), ce qui ne l’empêcha pas de publier, en 2005, pour les éditions Plon et Jean-Claude Simoën, son Dictionnaire amoureux de l’Espagne [**], une « commande », certes, comme il le reconnaissait, mais, de la lettre « A » à « Zurbarán », une suite d’articles (en passant par Almodovar ou Lorca) pleins de finesse et d’intelligence :

« Tant qu’il restera un Espagnol vraiment vivant, concluait-il, c’est-à-dire animé de la passion la plus sauvage, de la fureur de dépasser la réalité médiocre, un Espagnol habité d’une folie superbe — tant que cet homme existera, l’Espagne vivra. »

Oui, ne pas oublier Michel del Castillo.

Michel Sender.

 

[*] Tanguy — Histoire d’un enfant d’aujourd’hui de Michel del Castillo [éditions Julliard, 1957], éditions Presses Pocket, Paris, 4e trimestre 1978 ; réimpression du 25 mars 1983, 288 pages.

Ne pas oublier Michel del Castillo

[**] Dictionnaire amoureux de l’Espagne de Michel del Castillo, dessins de Catherine Dubreuil, éditions Plon, Paris, avril 2005 ; 414 pages, 22 €. Un formidable livre de chevet.

Michel del Castillo (1933-2024) — Photo DR

Michel del Castillo (1933-2024) — Photo DR

Publié dans Littérature

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