"Pierre-Auguste Renoir, mon père" de Jean Renoir

Publié le par Michel Sender

"Pierre-Auguste Renoir, mon père" de Jean Renoir

« En avril 1915, un bon tireur bavarois me gratifia d’une balle dans une jambe. Je lui en suis reconnaissant. Cette blessure me permit finalement d’être hospitalisé à Paris où mon père s’était fait transporter pour être plus près de moi. La mort de ma mère l’avait complètement démoli et son état physique était pire que jamais. Ce voyage de Nice à Paris l’avait fatigué au point qu’il hésitait à me rendre visite à l’hôpital. J’obtins facilement la permission d’aller passer mes journées chez nous, quand mes pansements n’avaient pas à être renouvelés.

C’est « la Boulangère », un de ses modèles, qui m’ouvrit la porte. Elle poussa un cri en voyant mes béquilles. La « grand-Louise », notre cuisinière, parut à son tour, venant de l’atelier dont la porte ouvrait sur le même palier que celle de l’appartement. Les deux femmes m’embrassèrent et me dirent que « le patron » était en train de peindre des roses que la Boulangère était descendue acheter sur le terre-plein du boulevard Rochechouart. En descendant du taxi j’avais remarqué la marchande de fleurs appuyée à la roue de sa petite voiture. C’était la même qu’avant la guerre. Extérieurement, rien n’avait changé, sauf qu’on pouvait entendre le canon quand le vent venait du nord. » [*]

 

Pierre-Auguste Renoir, mon père de Jean Renoir fait partie des livres que je recherchais depuis longtemps et j’ai immédiatement foncé dessus en le trouvant !

Bien m’en a pris, car sa lecture (Jean Renoir écrit remarquablement) en est passionnante et d’une extrême charge humaine.

Ce qui reste une énorme interrogation et en même temps un exemple de grande maturité demeure le fait que Jean Renoir, né en 1894, ait attendu le début des années 1960 pour écrire sur son père, disparu en 1919.

Le premier titre de ce livre, paru en 1962 chez Hachette, Renoir par Jean Renoir, témoigne de ce que tous les proches appelaient le peintre tout simplement « Renoir », sans dire ses prénoms. Il y a aussi que son fils, Jean, né avec une cuillère dans la bouche et plutôt dilettante, mis de nombreuses années avant de s’affirmer.

Dès le commencement, Jean Renoir place en exergue sa blessure de guerre de 1915 où, après la mort de sa mère et l’aggravation de la maladie de son père, il se rapprocha de lui en le faisant parler et en recueillant oralement ses souvenirs.

Il ne s’agit pas d’une biographie mais Jean Renoir restitue malgré tout l’itinéraire géographique de son père : sa naissance, en 1841, à Limoges (son premier métier fut peintre sur porcelaine) ; son départ, très jeune, pour Paris ; ses différentes habitations (notamment à Montmartre au « Château des Brouillards ») ; les séjours à Essoyes, village natal de sa femme et de Gabrielle Renard, une des modèles du peintre et nourrice de ses enfants Jean et Claude ; la résidence à Cagnes-sur-Mer, domaine des Collettes, où Renoir mourut et où Jean rencontra Andrée Heuschling, qui posait pour son père et qui devint sa première épouse… (Comme actrice de cinéma, elle prit le pseudonyme de Catherine Hessling : Jean Renoir l’explique dans ses autres Mémoires, également remarquables, Ma vie et mes films [**].)

Bien sûr, Jean Renoir a relu les monographies d’Ambroise Vollard (La Vie et l’œuvre de Pierre-Auguste Renoir) ou de Georges Rivière (Renoir et ses amis) mais il apporte à son récit des histoires personnelles, un témoignage inédit sur les impressionnistes et sur les marchands d’art Paul-Durand Ruel, Ambroise Vollard ou les Bernheim.

Le leitmotiv du livre reste que Renoir, un travailleur acharné, qui peignait chaque jour, jusqu’à la fin (le jour de sa mort, alité, il « peignit des anémones que Nénette, notre gentille servante, était allée lui cueillir », écrit son fils), se considérait avant tout comme « un ouvrier de la peinture » et détestait les chichis et les hommages.

Et puis, il y a sa fameuse « théorie du bouchon » qui marquait et rythmait son existence : « Sa théorie était qu’on ne doit pas forcer la destinée : “Un bouchon, disait-il : il faut se laisser aller dans la vie comme un bouchon dans le courant d’un ruisseau.” »

Une philosophie qui a imprégné Auguste Renoir, tout autant que son fils Jean, qui, de même que son père avec ses tableaux l’a fait pour la peinture, a bouleversé le cinéma avec ses films.

 

Michel Sender.

 

[*] Pierre-Auguste Renoir, mon père de Jean Renoir [Renoir par Jean Renoir, Hachette, 1962], collection « Folio », éditions Gallimard, Paris, mai 1981 ; 512 pages (réimpression de janvier 1999).

"Pierre-Auguste Renoir, mon père" de Jean Renoir

[**] Ma vie et mes films de Jean Renoir, paru chez Flammarion en 1974 et réédité en « Champs »-Flammarion (272 pages, août 2005), reste également un livre de référence, magistralement écrit.

"Pierre-Auguste Renoir, mon père" de Jean Renoir

Bien qu’étant une réinterprétation de la réalité, le film Renoir (2012) de Gilles Bourdos, avec Michel Bouquet (Renoir), Christa Théret (Andrée Heuschling) et Vincent Rottiers (Jean Renoir), rend bien compte de l’atmosphère des dernières années de Renoir (dvd France Télévisions Distribution, 2013).

Publié dans Littérature

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